Le président de la République doit-il consulter le premier ministre pour exercer son droit de nomination ?

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Emmanuel Macron use jusqu’au dernier instant de son droit de nomination. Craignant une majorité absolue en faveur du Rassemblement national (RN), qui le forcerait à cohabiter avec un premier ministre issu du parti d’extrême droite, le chef de l’Etat a entamé un vaste mouvement de nominations de hauts fonctionnaires et de nominations de plusieurs personnalités proches de son camp, lors du dernier conseil des ministres, le 26 juin.

Et à quatre jours du second tour des législatives avancées, la section « nominations » dans le compte rendu du conseil des ministres promet d’être scrutée, mercredi 3 juillet. Une salve de nominations pourrait intervenir. Les patrons de la police et de la gendarmerie doivent aussi être remplacés car ils partent à la retraite et ont été maintenus en fonctions jusqu’à la fin des Jeux olympiques. Versant dans l’outrance, Marine Le Pen est allée jusqu’à dénoncer un « coup d’Etat administratif » du camp macroniste, qui envisagerait selon elle de nommer un nouveau directeur général de la police nationale pour entraver l’action de Jordan Bardella s’il venait à accéder à Matignon à l’issue du scrutin.

« Il y a depuis soixante-six ans chaque semaine des nominations et des mouvements, notamment l’été, indépendamment des moments politiques traversés par nos institutions, et il n’est aucunement prévu qu’une de ces dispositions puisse changer dans les prochains mois », a réagi la présidence de la République, appelant la députée réélue du Pas-de-Calais à faire preuve de « sang-froid » et de « mesure ».

En juin, 932 textes de nomination – affectations, réintégrations, renouvellements… – ont été publiés au Journal officiel (JO), a fait savoir sa rédaction à l’Agence France-Presse. Un total supérieur à la moyenne des nominations annoncées en juin entre 2017 et 2024 (836 textes), mais encore loin des plus de 1 200 mesures nominatives de décembre 2020. « On peut certes noter une hausse des mesures nominatives qui peut s’expliquer peut-être en partie par le contexte électoral, mais elle n’a rien d’extraordinaire ni de très significatif à ce stade », commente la rédaction du JO.

« Emmanuel Macron a anticipé », estime toutefois Lucie Sponchiado, maîtresse de conférences en droit public à l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne et autrice d’une thèse sur la compétence de nomination du président de la Ve République. Il s’agit d’une pratique d’anticipation « classique dans l’histoire des trois cohabitations qu’a connues » la Ve République, rappelle la chercheuse. « Les précédentes cohabitations [entre la gauche et la droite] étaient [toutefois] différentes », car elles n’impliquaient pas l’extrême droite, souligne Mathieu Carpentier, professeur de droit public et de droit constitutionnel à l’université Toulouse-Capitole.

Estimant qu’une telle cohabitation serait un « danger » pour l’avenir des institutions françaises, le chef de l’Etat « essaie de garder la main pour ralentir la mise en place de politiques » du parti à la flamme, analyse Lucie Sponchiado. « Il tente de sauver les meubles », abonde Mathieu Carpentier. Une fois le premier ministre nommé après les élections de dimanche, le président devra en effet composer avec ce dernier pour exercer son pouvoir de nomination.

Comment s’exerce le pouvoir de nomination ?

Le pouvoir de nomination est la liberté de choisir et la capacité de nommer quelqu’un dans un emploi public. Il s’agit d’un pouvoir partagé du président de la République avec le premier ministre. Une grande partie des décisions du chef de l’Etat sont en effet soumises au contreseing du premier ministre. Lucie Sponchiado rappelle que « l’article 19 de la Constitution stipule que tous les actes du président de la République sont contresignés par le premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables », sauf dans quelques cas exceptionnels comme la dissolution, la désignation du premier ministre ou encore celle de trois membres du Conseil constitutionnel et de son président.

Les nominations des chefs d’administration comme les postes de préfets, d’ambassadeurs, de recteurs d’académie ou encore de directeurs d’administration centrale, mais aussi des services de renseignements, eux, n’échappent pas à la règle. Il s’agit de « postes-clés » pour l’exercice du pouvoir, précise la maîtresse de conférences, puisqu’ils permettent de mettre en œuvre la politique et les directives du gouvernement. Leur nomination, qui intervient en conseil des ministres, est un « enjeu crucial », soutient Mathieu Carpentier.

La nomination « est un pouvoir partagé qui s’exerce de concert », explique le professeur en droit constitutionnel. « En période normale, [le contreseing de leur nomination par le premier ministre est] une formalité, mais en cohabitation, c’est plus compliqué », poursuit-il. « Le premier ministre va souhaiter nommer des hauts fonctionnaires acquis à sa cause, mais si le président refuse de signer le décret, la nomination n’a pas lieu. » L’inverse peut aussi se produire : le premier ministre peut refuser une nomination venue du président de la République, en ne contresignant pas. Un tel désaccord peut mener à un blocage, en raison du consensus qu’exige la Constitution entre le premier ministre et le président de la République.

Que peut-il se passer en cas de blocage ?

Le choix des « nominations peut devenir une bataille entre le président et le premier ministre », avance Lucie Sponchiado. Cette « bataille » pourrait être sans issue, dans la mesure où rien n’est prévu dans la Constitution pour trancher sur un tel désaccord. « Pour en sortir, il n’y a rien d’autre que le consensus » s’il intervient dans le respect de la Constitution.

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De son côté, Fleur Jourdan, avocate spécialisée en droit public, estime que des « pouvoirs temporaires à ces postes peuvent être mis en place, car il existe des dispositions internes dans les établissements publics qui le permettent ». Elle prévient toutefois que ces intérims « ne sont pas pérennes ».

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