À Tunis, la résurrection de l’hôtel du Lac

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Quand, au soleil couchant, la silhouette de Tunis se découpe sur le ciel, une curieuse pyramide inversée semble posée en équilibre précaire à la confluence de deux des principales artères de la ville moderne et à la merci des vents. Il s’agit de l’hôtel du Lac, dont l’architecture aurait inspiré au réalisateur George Lucas celle de la forteresse des Jawas dans la saga Star Wars. Les Tunisois, eux, l’assimilent à celle du « triangle », un savoureux gâteau au chocolat dont les pâtissiers italiens de la capitale avaient le secret. Pour les plus jeunes, il évoque un assemblage de Lego.

Peu savent que ce bâtiment, qui vient d’échapper à la destruction, est un exemple unique du brutalisme en Tunisie, une œuvre majeure en opposition totale avec les blanches rondeurs de la médina ou avec le style art nouveau des quartiers coloniaux. D’une audace folle, cette structure d’acier brun mordoré de dix étages, conçue par l’Italien Raffaele Contigiani en 1970, illustre la volonté d’un jeune pays indépendant de se moderniser et de se lancer dans l’industrie touristique.


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Olivier-Clément Cacoub, Le Corbusier…

L’urbanisme est alors le fait du prince : le président, Habib Bourguiba, remodèle Tunis, crée de nouveaux quartiers, ouvre des avenues et rompt avec le passé en faisant appel à des architectes novateurs, comme Olivier-Clément Cacoub ou Jason Kyriacopoulos. L’hôtel du Lac, que l’on compare parfois à un autre bâtiment brutaliste célèbre dans le monde arabe, le Baghdad Gymnasium, dessiné par Le Corbusier et achevé en 1980, sera, avec l’hôtel Africa et le Hilton, l’un des trois établissements haut de gamme de Tunis.

La construction elle-même relève de la prouesse technique. Pour résoudre le casse-tête des escaliers latéraux, qui grimpent sous les bords externes de la pyramide, on a fait appel à l’expertise d’une entreprise autrichienne spécialisée dans les structures métalliques. Les 416 chambres et les quatre suites, toutes alignées sur une unique rangée le long d’un couloir en façade, flottent entre ciel et terre, et offrent l’une des plus belles vues sur l’effervescente capitale tunisienne.

Pourtant, depuis plus de vingt ans, personne n’en profite. Lors de la vague de privatisations de 1990, une entreprise privée a pris le relais de la Société hôtelière et touristique de Tunisie (SHTT), ce qui n’a pas empêché l’hôtel de mettre la clé sous la porte. Depuis 2010, il appartient à la Libyan Arab Foreign Investment Company (Lafico), filiale d’un fonds souverain libyen, qui a misé sur son emplacement pour concevoir un projet d’hôtel de luxe.


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L’âge d’or de Tunis

Pour faire revivre l’hôtel du Lac, la société civile s’est mobilisée. En 2013, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation, l’association Édifices et Mémoires avait attiré l’attention sur le péril qui menaçait certains joyaux architecturaux. Mais c’est surtout l’intervention, en 2020, de la plasticienne Mouna Jemal Siala et de l’architecte d’intérieur Manna Jemal sur le thème du « non à la démolition » qui a fait grand bruit sur les réseaux sociaux et qui a attiré l’attention des autorités. Les deux femmes ont utilisé des photos anciennes ou récentes de l’hôtel du Lac, et les ont ornées de slogans et de graphiques.

Comme nombre de Tunisiens, elles avaient été choquées à la vue de photos qu’un intrépide passionné d’exploration urbaine, qui signe ses reportages « Lost in Tunis », avait réalisées clandestinement, en 2019. Largement partagés sur Facebook, ces clichés montraient l’intérieur de l’hôtel à l’abandon. Linoléum dans les couloirs, murs écaillés, couleurs défraîchies du plastique qui vécu, téléphones éparpillés et restes de décors aux tons chauds terriblement vintage avaient attisé la nostalgie d’un certain âge d’or.


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Durant ces années 1970 aussi délurées que triomphantes, l’hôtel du Lac a en effet accueilli toutes les célébrités internationales de l’époque, comme le chanteur James Brown, les élites culturelles et économiques, ainsi que des institutions, qui y ont organisé des manifestations d’envergure, comme les Journées cinématographiques de Carthage (JCC).

La préservation du patrimoine, y compris celui de l’époque moderne, est devenue une priorité pour les autorités gouvernementales et locales, qui ont fini par prendre des mesures. À la fin de juillet 2024, la Commission nationale du patrimoine a annoncé que l’hôtel du Lac serait non seulement épargné, mais restauré. La pyramide d’acier et de verre, qui repose sur 190 pieux en béton fichés à 60 m de profondeur, conservera sa vocation hôtelière, avec de nouveaux aménagements destinés à rendre son environnement immédiat aussi attrayant que sa situation, dans l’hyper-centre de Tunis.

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