« Arzé » : une quête émouvante au cœur du Liban, doublement primée au Festival International du Film du Caire (CIFF)
Le Festival International du Film du Caire (CIFF), qui vient de clôturer sa 45ᵉ édition, a une fois de plus célébré le meilleur du cinéma mondial. Avec sa section « Horizons du cinéma arabe », le festival met chaque année en lumière des œuvres qui explorent les réalités sociales et culturelles de la région. Parmi les films récompensés cette année, Arzé, premier long-métrage de la réalisatrice libanaise Mira Shaib, a marqué les esprits. Le film, qui raconte l’histoire poignante et lumineuse d’une mère célibataire à Beyrouth, a remporté deux prix importants : le Prix Youssef Sherif Rezkallah du Meilleur scénario et le Prix de la Meilleure actrice, décerné à Diamand Abou Abboud pour son interprétation magistrale du rôle-titre. Celle-ci, appelée sur scène, a prononcé quelques mots émouvants lorsque le prix lui a été décerné :
Un quotidien transformé en odyssée
Arzé nous plonge dans la vie d’une mère célibataire, vivant dans un petit appartement à Beyrouth avec son fils adolescent Kinan et sa sœur aînée, Layla (Betty Taoutel), recluse et agoraphobe. Pour subvenir aux besoins de cette famille atypique, Arzé prépare des fatayers, ces chaussons traditionnels garnis, qu’elle vend grâce aux livraisons de son fils. Mais leur fragile équilibre est menacé lorsque, pour acheter un scooter de livraison indispensable, Arzé vole le bracelet précieux de sa sœur pour le mettre en gage.
Lorsque le scooter est lui-même volé, c’est une véritable descente aux enfers qui commence. En compagnie de Kinan, Arzé se lance dans une course effrénée à travers Beyrouth pour retrouver le véhicule perdu. Mais cette quête, qui semble d’abord matérielle, se transforme en une exploration des fractures sociales et culturelles du Liban, où chaque rencontre révèle les divisions, les préjugés et, parfois, la solidarité qui caractérisent cette société complexe.
Un récit ancré dans la diversité libanaise
Ce qui rend Arzé particulièrement captivant, c’est sa manière d’aborder avec subtilité et humour les divisions communautaires au Liban. Dans chaque quartier qu’elle traverse, Arzé doit s’adapter aux codes, aux traditions et aux attentes de la communauté dominante. Elle achète ainsi dans une petite boutique des accessoires – un voile, un collier, une croix – qui lui permettent de se fondre dans chaque groupe.
La vendeuse de cette boutique, personnage drôle mais essentiel, incarne l’universalité dans un pays fragmenté. Par sa neutralité bienveillante et son sourire constant, elle devient une métaphore de l’unité possible au-delà des différences, d’autant plus que c’est uniquement dans sa boutique que tous ces signes distinctifs de toutes ces communautés sont groupés. Chaque retour d’Arzé à la boutique souligne l’idée que, malgré leurs divergences, les habitants de Beyrouth partagent des points communs qui les rapprochent plus qu’ils ne le croient.
Comme d’ailleurs Arzé elle-même, qui porte un prénom commun à tous les libanais. En effet, Arzé, qui signifie « cèdre » en arabe, porte le nom de cet arbre emblématique que l’on retrouve sur le drapeau libanais. Ce prénom, symbole de résilience et d’unité, devient un rappel puissant de ce qui relie tous les Libanais au-delà de leurs différences.
Une actrice au sommet de son art
Le rôle d’Arzé, à la fois intense et nuancé, repose sur les épaules de Diamand Abou Abboud, qui livre une performance bouleversante. À travers ses expressions, ses gestes et ses silences, elle donne vie à une femme forte mais vulnérable, prête à tout pour sa famille. Abou Abboud parvient à rendre chaque moment crédible, qu’il s’agisse de scènes empreintes d’humour ou de séquences profondément émouvantes.
La relation entre Arzé et son fils Kinan, interprété par Bilal Al Hamwi, un jeune acteur prometteur, est également un point fort du film. Leurs échanges, souvent marqués par la tension, évoluent tout au long de leur aventure commune, révélant une complicité et une compréhension mutuelle qui touchent en plein cœur.
Un regard critique et plein d’humanité
Avec Arzé, Mira Shaib réussit un tour de force : utiliser une histoire simple pour explorer des thématiques complexes, comme le sectarisme, la précarité économique et les relations familiales. Le scénario jongle habilement entre humour et gravité. Les moments comiques, souvent liés aux absurdités des divisions communautaires (comme les différents noms donnés à un scooter selon les groupes), servent à désamorcer la tension tout en mettant en lumière les réalités du pays.
La réalisatrice peint également un portrait saisissant de Beyrouth, à travers des décors minutieusement choisis et des personnages secondaires hauts en couleur. La ville, vibrante mais marquée par ses contradictions, devient presque un personnage à part entière, accompagnant Arzé et Kinan dans leur quête.
Un message universel dans un cadre local
Au-delà de son contexte libanais, Arzé porte un message universel sur la résilience, l’amour familial et la capacité à trouver des solutions, même dans les situations les plus désespérées. Les fatayers qu’Arzé prépare tout au long du film et qu’elle distribue souvent ici et là, bien plus qu’une simple source de revenus, deviennent un symbole de connexion humaine et de survie dans un monde fragmenté. Et d’unité également, puisque communs à tous les libanais.
Une œuvre à découvrir absolument
Avec son mélange d’émotion, de réflexion sociale et d’humour, Arzé est une véritable pépite du cinéma arabe contemporain. Mira Shaib, pour son premier long-métrage, livre une œuvre aboutie, servie par une interprétation magistrale et une mise en scène délicate.
Ce film, à la fois profondément libanais et universel dans son message, mérite amplement les honneurs reçus au Festival du Caire. Très prochainement, il sera également présenté en Tunisie, ayant été sélectionné aux Journées Cinématographiques de Carthage, confirmant sa place parmi les œuvres incontournables de cette année.
Neïla Driss