Dans quelques jours, le rideau se lèvera sur la 45ᵉ édition du Festival International du Film du Caire (CIFF), prévue du 13 au 22 novembre 2024. Les préparatifs battent leur plein et l’excitation est palpable pour ce retour tant attendu, après une année d’interruption. En 2023, les organisateurs avaient pris la décision difficile de reporter le festival en raison de la guerre à Gaza, conflit qui s’est, depuis, étendu au Liban. Cette année, le CIFF revient avec une programmation ambitieuse, prête à offrir au public et aux cinéphiles une édition mémorable.
● Cette édition a dû surmonter de nombreux défis, surtout après l’annulation de l’année dernière. Quels ont été les plus grands obstacles?
Effectivement, cette année a été marquée par des défis inédits, notamment en raison des événements qui ont touché la région et nous ont contraints à reporter le festival. Compte tenu de l’impact dévastateur sur le peuple palestinien – des communautés entières ont été détruites et d’innombrables vies innocentes ont été perdues – il était impensable d’organiser le festival à ce moment-là. Il était de notre devoir de faire une pause par respect et solidarité.
Toutefois, cette décision de report n’a pas été sans conséquences. Le règlement de l’International Federation of Film Producers Associations interdit en effet tout nouveau report, ce qui nous a obligés à relancer l’organisation dans des délais particulièrement serrés. Le report a ainsi provoqué une série de complications logistiques : de nombreux invités avaient déjà confirmé leur présence, les jurys étaient constitués, et les films sélectionnés. Il a fallu tout recommencer, de la sélection des films à la constitution des jurys, car certains des films retenus avaient déjà été projetés dans d’autres festivals, et certains membres de jurys avaient d’autres engagements. C’était un travail colossal, mais nous avons réussi à restaurer la confiance de nos partenaires, des invités et du public. Notre objectif reste inchangé : offrir une édition exceptionnelle qui reflète la résilience de l’industrie et la richesse du dialogue culturel.
● Les contraintes financières ont-elles eu un impact particulier cette année?
Les défis financiers touchent tous les festivals aujourd’hui. C’est un fait, et nous ne faisons pas exception. Cependant, nous avons la chance de fonctionner dans un modèle mixte, avec des soutiens tant publics que privés. Cette année, malgré les circonstances, nos sponsors ont renouvelé leur confiance, et le soutien gouvernemental nous a permis de garantir une stabilité budgétaire essentielle.
Nous avons pu renforcer des partenariats solides avec des entreprises locales telles que « Fresh », marque égyptienne emblématique, ainsi que des partenaires historiques comme « Spiro Spathis » et la Banque Misr, acteur majeur du cinéma égyptien. Nos alliances avec Egypt Air et l’Autorité de Promotion du Tourisme égyptienne, ainsi que l’hébergement de nos invités par l’hôtel Sofitel, sont également des atouts pour le festival.
Il est également important de noter notre engagement envers la cause palestinienne. En accord avec nos valeurs, nous avons choisi de boycotter toute entreprise figurant sur la liste des boycotts. Ce principe de solidarité est au cœur de notre démarche, et nous continuerons de le défendre.
Dans un contexte mondial où les grandes manifestations internationales prennent position sur des enjeux globaux, il est important pour le Festival du Caire de mettre en avant ses propres causes, comme celle de la Palestine ou du Liban. Ce festival, au-delà de la fête du cinéma, se veut un espace de dialogue pour des enjeux fondamentaux.
● Quelle place occupe le travail d’équipe au sein du festival?
Le travail d’équipe est l’élément central qui permet au Festival du Caire de conserver son prestige. Cette collaboration et cette vision commune sont ce qui nous permet de surmonter les épreuves. Le festival est reconnu sur la scène internationale pour ses standards élevés, et nous mettons tout en œuvre pour maintenir cette réputation.
Mon expérience antérieure en tant que président du festival m’a permis de développer une vision claire de ce que le festival peut apporter : repousser les limites, ouvrir des dialogues et enrichir le paysage culturel. Cette année, avec une équipe renouvelée, j’ai trouvé un dynamisme et un esprit de coopération exceptionnels. Cette cohésion est ce qui nous a permis d’avancer, et elle assure non seulement la survie mais la croissance continue du festival. Ensemble, nous bâtissons un avenir radieux pour le Festival International du Film du Caire.
● Quels sont les moments forts de cette édition?
Cette année, nous mettons un point d’honneur à promouvoir le cinéma palestinien, qui témoigne de la résilience et des aspirations d’un peuple. Nous voulons offrir une tribune aux voix palestiniennes, tout comme à celles du Liban, qui apportent une perspective unique sur des enjeux universels. Le festival est un lieu de rencontre, un espace de solidarité et de réflexion qui donne la parole aux cinéastes de la région pour raconter leur histoire à un public international.
L’édition de cette année transcende la simple célébration du cinéma; elle est un engagement envers des valeurs de justice, de paix et de liberté. Chaque film est un témoignage puissant, une invitation à partager une vision du monde qui dépasse les frontières.
● Comment le festival soutient-il les jeunes cinéastes et les étudiants en cinéma?
Depuis mon premier mandat à la présidence du festival (de 1998 à 2001), soutenir les jeunes talents est un engagement personnel. J’ai moi-même découvert la puissance du cinéma en tant qu’étudiant à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques, lors des projections du festival. Aujourd’hui, je souhaite offrir cette même opportunité aux nouvelles générations, qu’il s’agisse de jeunes cinéastes ou de passionnés de cinéma.
Cette année, le festival renforce cet engagement en élargissant les « Journées de l’Industrie du Caire », une initiative qui prend de l’ampleur. Nous avons aussi relancé le Marché de l’Industrie du Caire, suspendu depuis plusieurs années, afin de créer un espace dynamique pour les échanges et les collaborations. En parallèle, nous célébrons le patrimoine cinématographique égyptien en restaurant des classiques du cinéma local, pour transmettre cette culture aux nouvelles générations.
En somme, nous nous efforçons de créer des passerelles entre le passé et l’avenir du cinéma, en soutenant les talents émergents tout en honorant les œuvres qui ont marqué l’histoire de l’industrie cinématographique.
● Le festival étend ses projections au-delà de l’Opéra du Caire et du centre-ville. Pourquoi ce choix?
Traditionnellement, les projections se concentraient autour de l’Opéra du Caire et du centre-ville, mais cette année, nous avons choisi de nous étendre vers des zones comme la ville du 6 Octobre et le Nouveau Caire, grâce à un partenariat avec Vox Cinemas. C’est un pas important pour permettre à un public plus large de profiter du festival. Le Caire est une ville en expansion, et tous les habitants n’ont pas facilement accès au centre-ville.
En élargissant notre rayon d’action, nous renforçons l’inclusivité du festival. C’est aussi une manière d’ouvrir une expérience culturelle riche à ceux qui en étaient peut-être privés, en rendant le cinéma accessible à tous, où qu’ils vivent.
● La couverture médiatique du festival a-t-elle joué un rôle dans la relance de son image internationale?
La couverture médiatique, tant arabe qu’internationale, est primordiale pour restaurer l’image du festival. Cette année, nous avons bénéficié d’un intérêt sans précédent, avec une couverture venant de tout le monde arabe et de nombreux médias internationaux. En outre, nous avons renforcé nos partenariats avec des publications influentes comme Forbes USA, Variety, Screen Daily et Film Verdict, ainsi qu’avec des plateformes locales telles que Watch It et Shahid.
Cette présence accrue dans les médias souligne que le Festival du Caire est bien de retour. Le report de l’édition précédente a permis une introspection, et cette édition marque un véritable renouveau. Nous espérons accueillir un public nombreux pour cette édition pleine de films captivants, d’événements inédits, et d’opportunités de rencontre avec des cinéastes et des personnalités du cinéma. En 2022, le festival a attiré plus de 45 000 spectateurs; cette année, nous espérons dépasser ce chiffre et toucher un public encore plus large, aussi bien égyptien qu’international.