CIFF 2024 – « Le Pont » de Walid Mattar, un récit réaliste et poignant

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Hier soir, au Festival international du film du Caire, Walid Mattar a présenté en avant-première son nouveau long-métrage, « Le Pont », en compétition dans la section Horizons du cinéma arabe. Cette 45ᵉ édition, qui se déroule du 13 au 22 novembre 2024, a accueilli une projection marquée par de vifs applaudissements et une grande émotion. Accompagné de quelques membres de son équipe, le réalisateur a dévoilé une œuvre poignante qui plonge au cœur des fractures sociales et des rêves brisés d’une jeunesse tunisienne. 

Un récit entre aspirations et désillusions

Le Pont raconte l’histoire de trois jeunes tunisiens ordinaires, habités par des rêves de réussite et une volonté de s’en sortir. Foued, un jeune photographe réalisateur, qui rêve de lancer sa carrière, accepte d’aider son ami Tita à tourner un clip de hip-hop, mettant en scène Safa, une étudiante en business qui travaille aussi comme influenceuse et accompli divers petits boulots pour arrondir ses fins de mois. Safa vend des accessoires et, ce soir-là, danse pour les besoins de la vidéo. Tita, de son côté, est un réparateur de téléphones qui rêve de percer dans le rap.

Ces jeunes, loin des clichés de la délinquance, apparaissent comme profondément innocents et sincères dans leurs aspirations. Ils ne sont pas des marginaux, mais des travailleurs, avec des rêves de richesse et de succès, semblables à tant d’autres jeunes à travers le monde. Ce sont ces traits qui créent une profonde empathie chez le spectateur. Leur humanité, leur naïveté même, rend leurs choix compréhensibles, même lorsque leurs décisions les poussent sur une pente glissante.

Le tournant de l’histoire se produit lorsque le trio découvre un énorme paquet de cocaïne. Cet événement inattendu devient pour eux l’opportunité de changer leur vie. Ils ne voient pas la drogue comme une fin en soi, mais comme un moyen rapide de réaliser leurs rêves. Chaque nuit, ils traversent donc le pont de Radès pour aller vendre leur drogue dans les boites de nuit huppées, un passage entre leur réalité modeste dans la banlieue sud et les promesses de luxe de la banlieue nord. Cependant, cette quête effrénée de réussite les confronte bientôt à des dilemmes moraux et à des conséquences imprévues.

 

 

Des personnages attachants et authentiques

L’un des aspects les plus marquants du film réside dans la richesse et la complexité des personnages. Sarra Hanachi, qui incarne Safa, a travaillé en étroite collaboration avec Walid Mattar pour donner vie à une jeune femme à la fois ambitieuse et vulnérable. « Safa est une étudiante qui travaille dur pour joindre les deux bouts », explique l’actrice. « Elle fait tout ce qu’elle peut pour avancer, que ce soit en vendant des accessoires ou en dansant dans un clip. C’est une jeune femme comme beaucoup d’autres, pleine d’espoir malgré les obstacles. »

 

CIFF 2024 – L’actrice tunisienne Sarra Hanachi

 

Pour Mohamed Amine Hamzaoui, qui interprète Foued, le défi était de capturer l’innocence et les rêves de son personnage. « Foued est un photographe passionné, qui cherche une chance de montrer son talent », explique l’acteur. « Ce qui est touchant, c’est qu’il croit profondément à son travail, même si les opportunités sont rares. » Quant à Tita, joué par Saif Omran, il incarne l’artiste autodidacte, réparateur de téléphones et rappeur, un personnage à la fois léger et poignant.

Cette proximité avec la réalité tunisienne rend ces jeunes profondément attachants. Le spectateur ne peut s’empêcher de ressentir de l’affection pour eux, de partager leurs espoirs et leurs désillusions. Leur naïveté face au monde de la drogue, leur ambition débordante et leur insouciance juvénile contribuent à créer une empathie rare et sincère.

En parallèle, le film met en lumière des figures secondaires tout aussi marquantes, notamment Zohra, incarnée par Zohra Chetioui. Ce personnage est une mère courage, travaillant sans relâche pour subvenir aux besoins de sa famille, même s’il lui arrive de sortir un peu du droit chemin, elle aussi mettant de côté ses valeurs et principes pour gagner un peu plus. « Zohra est une femme du peuple », explique l’actrice. « Elle m’a profondément touchée par sa force et son humanité. Son combat est celui de nombreuses femmes tunisiennes. » Ce réalisme donne une profondeur supplémentaire au récit et permet au spectateur de mieux comprendre les contextes sociaux dans lesquels évoluent les protagonistes.

Une métaphore forte et un regard lucide sur la société

Le film s’ouvre et se termine sur des scènes marquantes impliquant des chiens, une métaphore percutante qui interpelle. « En Tunisie, les chiens errants sont souvent abattus par l’État pour des raisons de santé publique », explique Walid Mattar. « Cela m’a inspiré pour dénoncer un système brutal et dépourvu de règles. Ce monde de la drogue, où les personnages sont entraînés malgré eux, ressemble à cet univers chaotique, sans lois ni protections ».

Une œuvre entre rire et réflexion sociale

Bien que le film aborde des thèmes graves, Walid Mattar parvient à insuffler une légèreté bienvenue. « Nous voulions un film accessible, quelque chose de populaire mais ancré dans le réalisme », confie le réalisateur. Cette dualité entre drame et comédie est parfaitement maîtrisée, grâce à des dialogues spontanés et des situations souvent cocasses. Les moments d’humour permettent au public de respirer, tout en approfondissant leur connexion avec les personnages.

L’atmosphère du film est sublimée par une bande-son vibrante, mêlant rap et mélodies contemporaines. Composée par Mohamed Amine Hamzaoui et Nejmeddine Jelassi, elle reflète à la fois l’énergie et les contradictions des jeunes protagonistes. 

Un regard lucide sur la société tunisienne

 Le pont de Radès, véritable protagoniste du film, incarne le fossé entre deux mondes : celui des riches et celui des pauvres, celui des rêves et celui des désillusions. Walid Mattar utilise ce symbole pour explorer les transformations sociales de la Tunisie contemporaine. « La classe moyenne est en train de disparaître », observe-t-il. « Nous vivons dans une société de plus en plus polarisée, où les jeunes, bombardés par les images de richesse sur les réseaux sociaux, veulent tout obtenir rapidement, parfois au prix de leurs principes et valeurs. »

Cette quête de richesse rapide, qui pousse les personnages à franchir des limites, résonne comme un écho des aspirations et frustrations de toute une génération. Pourtant, le réalisateur parvient à éviter tout jugement moral, laissant les spectateurs tirer leurs propres conclusions. « Ce sont des jeunes ordinaires, pas des criminels », insiste Walid Mattar. « Ils essaient simplement de trouver leur place dans un monde qui ne leur laisse pas beaucoup d’options. »

 

CIFF 2024 – Walid Mattar, réalisateur du film « Le Pont »

 

Un avenir prometteur pour Le Pont

Après sa première réussie au Festival International du Film du Caire, Le Pont rejoindra les Journées Cinématographiques de Carthage, où il concourra dans la compétition nationale des longs métrages de fiction. Sa sortie dans les salles tunisiennes est prévue dans les mois à venir. L’équipe espère également que le film continuera son parcours dans d’autres festivals internationaux.

Avec Le Pont, Walid Mattar livre une œuvre à la fois touchante et lucide, portée par des personnages profondément humains et une narration vibrante. Ce film, miroir d’une jeunesse en quête de sens, nous rappelle que derrière chaque rêve brisé se cache une histoire à raconter. Un pont entre rire et réflexion, qui reste longtemps en mémoire.

 

Neïla Driss

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