En Algérie, l’inauguration d’une statue de Bigeard réveille les blessures du passé

Date:

Le quotidien francophone algérien El Watan donne d’emblée le ton dans un de ses articles, publié le 1er avril. Le titre est éloquent, et c’est loin d’être un poisson d’avril : « Révisionnisme historique, à Toul, le tortionnaire Bigeard aura-t-il sa statue ? ». Les mots sont forts et reflètent bien le désarroi des Algériens à l’endroit de cet hommage. Qui n’est d’ailleurs pas le premier : à la mort de l’ancien soldat, en 2010, les autorités françaises – soutenues par une partie des députés de droite et des associations d’anciens combattants – avaient envisagé de transférer ses cendres aux Invalides. Projet abandonné à la suite de la levée de boucliers qu’il avait provoqué. Ce qu’il reste de l’officier repose in fine au Mémorial des guerres en Indochine, à Fréjus, dans le sud de la France.

Le général Bigeard, en 1956 : une éthique sélective. © D.R.

Avant d’évoquer le parcours du général Bigeard en Algérie, un retour en arrière s’impose. En mars 1939, soit six mois avant que n’éclate la seconde guerre mondiale, il est appelé. Marcel Bigeard a alors 23 ans, il a terminé son service militaire quelques mois plus tôt et porte le grade de sergent de réserve. Fait prisonnier lors de la débâcle des troupes françaises face à la Wehrmacht, en juin 1940, il s’évade en fin d’année 1941. Passant en zone libre, il est envoyé au Sénégal après s’être porté volontaire pour reprendre les armes, et monte rapidement en grade.


la suite après cette publicité


Sergent, puis très vite adjudant et sous-lieutenant, le voilà parachutiste dans l’Armée de libération. En 1944, il est largué au dessus de l’Ariège, où sa mission consiste à encadrer les mouvements de la résistance française. À la libération, il est élevé au grade de capitaine d’active pour ses faits d’armes. Également à son palmarès, une Légion d’honneur et un Distinguished Service Order britannique. Pourtant, c’est en Indochine que se forge vraiment le « mythe Bigeard ». À Tu Le surtout, un village du Tonkin où, en octobre 1952, à la tête de son bataillon, il arrive à briser l’encerclement des Vietminh et à rejoindre les forces françaises. Sa gloire et son héroïsme sont désormais établis. Ils le précèdent partout où il va. En novembre 1953, il est parachuté sur Dien Bien Phu. Prisonnier, il recouvre un peu plus tard la liberté.

Des maquis à la bataille d’Alger

C’est donc un militaire déjà légendaire qui débarque en Algérie le 1er novembre 1955, un an précisément après la Toussaint rouge, point de départ de l’insurrection. Aussitôt arrivé, le voici sur le terrain montagneux d’Edough, puis du Constantinois, avec son 3e régiment de parachutistes, arpentant le maquis pour débusquer les rebelles. Et la tâche est loin d’être aisée, de l’aveu même de Bigeard. Comme à Saïdia (aujourd’hui ville frontalière du Maroc) où, expliquera-t-il, « les fells [fellaghas, c’est-à-dire les résistants, NDLR] sont les rois, tendent les embuscades, harcèlent les postes… »