Publié le 23 juillet 2024
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Notre confrère, Stanis Bujakera Tshiamala, y a été incarcéré durant six mois. La prison de Makala, seul centre pénitentiaire de Kinshasa, a une capacité d’accueil de 1 500 détenus, tandis qu’elle en abrite, en réalité, dix fois plus. Quatre mois après sa libération, le 19 mars dernier, le journaliste le plus suivi de la RDC – il compte plus de 600 000 abonnés sur X – a diffusé plusieurs vidéos pour dénoncer l’enfer qu’est la vie à Makala.
« Entassés dans des petites pièces ou dans les couloirs, les douches ou les toilettes, voire debout par manque de place pour se coucher ou même s’assoir, les prisonniers, à Makala, sont dans des conditions inhumaines et affreuses, en raison notamment de la surpopulation », écrit Stanis Bujakera Tshiamala dans sa publication du 19 juillet. Les images sont en effet très évocatrices. On peut y voir, filmés à la dérobée, des dizaines de détenus dormant les uns sur les autres, dans des cellules exiguës. Tous les lits sont occupés par plusieurs personnes, tandis que les autres prisonniers sont à même le sol.
« Les conditions de détention à Makala sont d’une gravité incroyable, explique Stanis Bujakera Tshiamala à Jeune Afrique. Nous n’avons pas construit de nouvelles infrastructures pénitentiaires depuis la colonisation. » Un seul repas par jour, de mauvaise qualité, des fouilles incessantes, des médecins disposant de peu d’équipements et des stocks de médicaments insuffisants… Le journaliste décrit des conditions de détention insoutenables. Si lui-même a pu disposer d’un traitement quelque peu différent, moyennant des sommes d’argent importantes, au pavillon 8 – dit « pavillon VIP » –, il a longuement observé les mécanismes de la prison et les conditions des détenus « ordinaires ».
Quand le pavillon 8 est occupé par 100 détenus, les autres bâtiments, de dimensions similaires, en comptent près de 1 000 chacun. « L’air ne circule plus normalement, et les détenus sont étouffés de l’intérieur », décrit Stanis Bujakera Tshiamala, arrêté en septembre 2023 et condamné à six mois de prison pour « contrefaçon », « faux en écriture », « usage de faux », « propagation de faux bruits » et « transmission d’un message erroné » – un jugement qu’il a décidé de ne pas contester, car il affirme ne pas pouvoir s’assurer de l’indépendance de la justice congolaise. À Makala, tout se monnaie, jusqu’à l’espace occupé, calculé à la taille du pied. Un système qui oblige ceux ne pouvant s’acquitter de ces dépenses à accomplir des travaux forcés.
« Le centre pénitentiaire de Kinshasa est un véritable centre de concentration, révèle Stanis Bujakera Tshiamala. Il n’y a pas d’eau potable, et les latrines fonctionnent très mal, obligeant les détenus à faire leurs besoins à l’air libre. » Le journaliste raconte comment l’un de ses codétenus était en réalité acquitté par la justice depuis 2018, mais n’en avait jamais été notifié en raison de la lenteur du système administratif : il n’est sorti de Makala qu’en 2023. « Il est nécessaire de réformer le système carcéral, qui n’est pas efficace, mais aussi de réformer la justice, assure Stanis Bujakera Tshiamala. L’État doit prendre ses responsabilités. »
Maladies et malnutrition
Si « l’enfer » de Makala est régulièrement dénoncé par la société civile et les ONG, c’est la première fois que de telles images sont dévoilées publiquement. Tout juste nommé à la Justice, le 29 mai, Constant Mutamba, a répondu aux révélations de Stanis Bujakera Tshiamala. « Nous n’avons pas attendu leur publication pour amorcer le processus en cours de désengorgement des prisons et d’amélioration des conditions de détention. Nous sommes un État souverain, a écrit le garde des Sceaux sur X, pour répondre à la polémique lancée par les vidéos. Les prisonniers congolais mangent deux à trois fois par jour. Quid des conditions de détention à Guantanamo ? »
D’après la Fondation Bill Clinton pour la paix (FBCP), association militant pour les droits des prisonniers, sur les 15 300 détenus que compte actuellement le centre de détention de Kinshasa, seuls 2540 ont été condamnés. Plusieurs milliers de personnes sont donc en détention préventive : la FBCP décrit la lenteur des procédures judiciaires. « Il faut lutter contre les arrestations arbitraires, fermer les cachots clandestins, construire de nouvelles structures, réhabiliter les bâtiments actuels, respecter les délais de détention préventive et encadrer les détenus », liste le président de l’association, Emmanuel Cole, à Jeune Afrique. Pour lui, il est tout simplement « impossible » qu’à Makala, les prisonniers bénéficient de deux à trois repas par jour. La nourriture provient pour la plupart des proches des détenus, qui leur apportent chaque jour de quoi manger.
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L’association pointe du doigt, comme Stanis Bujakera Tshiamala, les conditions sanitaires à Makala. Pour le seul mois de mai, la FBCP dénombre 60 décès de prisonniers, la plupart des suites de maladie. Tuberculose, typhoïde, crise paludique et infections sont en effet le quotidien des détenus.