FMI : Chronologie d’une mésentente cordiale

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Si le FMI nie l’existence de nouvelles négociations avec la Tunisie, au sujet de l’obtention de financements sachant que le précédent programme, pour lequel la Tunisie avait obtenu un accord de principe de 1,9 milliard de dollars en octobre 2022 n’a pas été appliqué, certains pensent le contraire et estiment que le dialogue entre la Tunisie et le FMI n’a jamais été interrompu et ne le sera pas. Retour sur les grandes lignes d’une relation sinusoïdale.

Au cours des dernières années, la relation entre la Tunisie et le FMI n’a pas été de tout repos. En échange de prêts l’institution de Bretton Woods a toujours exigé des réformes en contrepartie. Pour la Tunisie, celles-ci, pas toujours réalisables, ont conduit à une impasse. Le président Kais Saïed en a décidé autrement en signifiant la rupture avec le FMI.

Mais la présence d’une délégation tunisienne à Washington soulève de nouvelles questions sur l’avenir des relations entre les deux parties. Car si le dialogue entre la Tunisie et le FMI n’a jamais été interrompu la présence d’une délégation tunisienne aux assemblées annuelles 2024 du FMI et du Groupe de la Banque Mondiale souligne témoigne d’une volonté de maintenir les ponts avec les institutions financières internationales.

Retour en arrière…

La Tunisie promet au FMI d’annuler la subvention des produits de base

Dans le cadre d’un nouvel accord, le FMI avait demandé à la Tunisie de restructurer son système de subvention, voire même l’annuler. En juillet 2016, la Tunisie se penche alors sur la procédure de révision de son système de subvention considéré comme des plus grandes causes du déficit budgétaire et promet de reconsidérer le système progressivement, pour ne pas affecter le pouvoir d’achat des Tunisiens.

Le FMI réclame la baisse des salaires de la fonction publique

En octobre 2016, le FMI estime que la Tunisie souffre d’un taux d’endettement élevé en plus des problèmes du secteur financier, qui nécessitent une intervention de l’Etat, et recommande d’œuvrer en vue de maîtriser la masse salariale considérée comme élevée par rapport aux niveaux enregistrés dans les pays semblables dans l’objectif de renforcer les ressources de l’Etat et limiter l’endettement.

Le FMI estime alors qu’u niveau économique, la Tunisie doit relever deux défis, à savoir la réforme du système bancaire et l’amélioration des services administratifs.

La masse salariale de la fonction publique, parmi les plus élevées au monde

En février 2017, au terme d’une visite des services du FMI en Tunisie, Björn Rother, Chef de mission pour la Tunisie, a de nouveau pointé le doigt sur la masse salariale de la fonction publique et le programme de réformes économiques rappelant que la dette publique a continué de s’alourdir, dépassant 60% du PIB en 2016.

Il a estimé que la masse salariale de la fonction publique en pourcentage du PIB est parmi les plus élevées au monde et le déficit des transactions courantes reste considérable, estimant que des actions urgentes sont nécessaires pour protéger la santé des finances publiques, accroître l’investissement public et accélérer les progrès des réformes structurelles qui ont été retardées.

Une meilleure gestion de la masse salariale indispensable

En octobre 2017, une équipe du FMI de nouveau en visite en Tunisie, considère que la nécessité de créer des emplois et contenir la dette publique, doivent être au centre de tout effort de réforme économique. La mission a noté l’engagement des autorités à traduire leurs ambitions de réforme en actions dans le projet de loi de finances de 2018.

Assurer la viabilité du système de sécurité sociale, améliorer la gouvernance et la surveillance des entreprises publiques déficitaires et moderniser la fonction publique demeurent des réformes structurelles cruciales pour réduire les risques budgétaires et rendre l’ensemble de l’économie plus compétitive, estime le FMI.

Le FMI recommande d’évoluer vers un régime de change plus flexible

En janvier 2018, le FMI a recommandé à la Tunisie d’évoluer vers un régime de change plus flexible, qui permet à la monnaie locale, le dinar de réagir au jeu de l’offre et de la demande de devises.

Le FMI recommande plus d’impôts et moins d’augmentations salariales

En mars 2018, le FMI a recommandé à la Tunisie de prendre des décisions « importantes » pour améliorer sa situation financière générale, à travers, notamment, l’augmentation des impôts et le freinage des augmentations salariales dans le secteur public. Le FMI a également appelé les autorités tunisiennes à diminuer les dépenses de l’Etat afin de baisser les dettes, et à augmenter les dépenses sociales et celles qui concernent les investissements.

Le FMI recommande également la mise en place d’augmentations trimestrielles des prix du carburant.

Nouvelles recommandations du FMI

En avril 2019, une mission du FMI dirigée par Björn Rother est de nouveau en visite en Tunisie. Au terme de cette visite, Björn Rother a préconisé ses recommandations qui consistaient à « maintenir le cap sur la réduction du déficit budgétaire, renforcer les réserves en devises, maintenir une politique monétaire stricte et supprimer progressivement les subventions énergétiques inéquitables, tout en protégeant les ménages vulnérables ».

Toutes ces recommandations sont jugées essentielles pour maintenir la stabilité économique malgré des vulnérabilités macroéconomiques élevées. Et selon Björn Rother, « la Tunisie doit mieux maîtriser sa masse salariale publique, qui figure parmi les plus élevées au monde en pourcentage du PIB. Cela contribuera à créer davantage d’espace pour les dépenses essentielles consacrées aux ménages vulnérables, à l’éducation et à la santé. Les nouveaux défis extérieurs (…). Nous reconnaissons que les mesures nécessaires ont un impact sur le peuple tunisien. C’est pourquoi les efforts visant à accompagner les réformes d’un filet de protection sociale renforcé, sont une priorité ».

« La mission du FMI préconise également « une nouvelle accélération des réformes structurelles, notamment pour améliorer la gouvernance et l’environnement des entreprises, ce qui est nécessaire pour renforcer la confiance ». Le FMI estime que « cela contribuera à libérer le potentiel du secteur privé et à générer plus d’opportunités et d’emplois pour tous les Tunisiens ».

« Des déséquilibres considérables continuent d’entraver la croissance et le potentiel d’emploi de la Tunisie. La croissance reste trop dépendante de la consommation, tandis que l’investissement et les exportations restent insuffisamment dynamiques. Les dettes extérieures et publiques croissantes de la Tunisie entraînent de grands besoins de financement et représentent un lourd fardeau pour les générations futures. Enfin, malgré un certain recul, l’inflation reste supérieure à 7%, menaçant le pouvoir d’achat, en particulier des plus vulnérables de la société ».

Le FMI bloque 1,2 milliard de dollars faute d’avancement des réformes

En décembre 2019, Jérôme Vacher, représentant résident du FMI en Tunisie, a annoncé que son organisme avait suspendu l’attribution à la Tunisie d’une nouvelle tranche de crédits estimée à 1,2 milliards de dollars faute d’accélération des réformes.

« Nous avons conclu la cinquième revue en juin 2019 portant le montant déboursé jusque-là à 1,6 milliard de dollars. C’est un engagement substantiel du FMI, d’autant plus qu’il permet aussi de débloquer d’autres financements de la communauté internationale. Cela étant, par rapport à l’enveloppe qui a été allouée initialement, ceci veut dire aussi que 1,2 milliard de dollars n’ont pu être déboursés, faute d’avancement suffisamment rapide du programme et des réformes économiques à certains moments », a-t-il déclaré.

Nouvelles recommandations du FMI pour réduire le déficit budgétaire

En janvier 2021, le FMI a envoyé à la Tunisie plusieurs recommandations afin de réduire le déficit budgétaire. Estimant que le déficit budgétaire s’est creusé en 2020, pour atteindre 11,5% du PIB, notamment en raison de la baisse des recettes, d’une masse salariale plus élevée et des transferts supplémentaires aux entreprises publiques.

La première recommandation consiste à contrôler la masse salariale, les subventions énergétiques mal ciblées et les transferts aux entreprises publiques. La deuxième recommandation consiste en la nécessité d’engager un plan de réforme « crédible » pour réduire la dette publique. Il s’agit aussi d’instaurer une équité fiscale et lutter contre le secteur informel. D’autre part, le FMI « exhorte le gouvernement à éviter de recourir au financement interne, car il risque d’annuler les gains réalisés en termes de réduction de l’inflation, d’affaiblir le taux de change et les réserves en devises internationales et miner la stabilité financière.

Les promesses faites au FMI !

En mai 2021, une délégation tunisienne est à Washington pour négocier un nouveau programme de réformes avec les institutions de Bretton Woods et solliciter un prêt de 4 milliards de dollars remboursable sur 3 ans en contrepartie de promesses de réformes économiques.

Ces promesses concernent notamment la réduction de la masse salariale du secteur public à 15% du PIB avant 2022, contre 17,4% en 2020, en partie grâce à des retraites anticipées et à des réductions du temps de travail. Le plan indique qu’il est « essentiel de repenser le système de rémunération en consultation avec les partenaires sociaux », une référence aux syndicats. Les promesses concernent également le remplacement des subventions par un soutien direct aux personnes dans le besoin d’ici 2024.

Dans cette optique, la Tunisie avait concocté un programme de réformes qui avait été présenté au FMI prévoyant avant tout, le gel des augmentations de salaires en 2021 afin de stopper la trajectoire tendancielle de la masse salariale, préjudiciable aux équilibres budgétaires, et la maîtrise de la masse salariale dans la fonction publique.

Les responsables du FMI avaient estimé alors que le programme de réformes économiques proposé par le gouvernement tunisien est « réalisable », mais sa mise en œuvre nécessite un calendrier prédéfini afin d’accélérer la relance économique dans le pays.

Le FMI appelle la Tunisie à clarifier sa politique économique

En octobre 2021, la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva exprimait la nécessité d’opérer des réformes économiques en Tunisie. « Pour la Tunisie, nous sommes très clairs quant au fait que le pays a besoin de réformes économiquement ciblées et urgentes, afin de stabiliser l’économie et mettre les finances publiques sur une voie durable. L’objectif étant de créer un climat favorable à la création d’emplois et permettre une croissance plus durable », ajoutant que « le FMI attend d’entendre les autorités tunisiennes concernant leurs priorités et concernant la politique économique, ce qui pourrait les amener à s’engager dans un programme de fonds ».

La Tunisie doit mener des « réformes très profondes »

En janvier 2022, le représentant du FMI en Tunisie, Jérôme Vacher, a indiqué que des «réformes très profondes», notamment la réduction de la masse salariale de la fonction publique qui atteint l’un des niveaux les plus élevés au monde, sont impératives. Vacher a souligné qu’en raison du coronavirus, la Tunisie est confrontée à la pire crise économique depuis son indépendance. Toutefois, il a souligné que les problèmes du pays étaient bien présents avant la pandémie, en particulier les déficits budgétaires et la dette publique (près de 100% du PIB fin 2021) qui se sont aggravés.

Saïed : « Il existe des lignes rouges dans nos discussions avec le FMI »

En février 2022, le chef de l’Etat, Kaïes Saïed entre en scène en déclarant qu’il s’était accordé avec la Cheffe du Gouvernement, Najla Bouden sur l’existence « de lignes rouges dans nos discussions avec le FMI ». Présidant un Conseil des ministres, il a souligné la nécessité de soutenir les personnes vulnérables qui ne devraient pas être fragilisées davantage.

Programme de réformes : Le FMI insatisfait !

En mai 2022, le FMI continuait de négocier avec les autorités tunisiennes. Mais « compte tenu de la situation économique désastreuse, des actions décisives et la mise en œuvre de réformes ne doivent pas attendre la fin des discussions ou la conclusion d’un programme avec le FMI « , avait alors déclaré, Gerry Rice, le porte-parole du Fonds, lors d’un point de presse en ligne.

Il estimait également « qu’un programme de réforme interne tel que présenté par le gouvernement actuel devrait faire l’objet d’une plus forte appropriation et d’une plus grande crédibilité, pour avoir une plus grande chance de succès que par le passé « .

Négociations avec le FMI : Kais Saied souligne l’aspect social

En juin 2022, le Président de la République, Kais Saied soulignait lors d’un entretien avec le directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, Jihad Azour, la nécessité d’instaurer de grandes réformes tout en prenant en considération l’aspect social. De son coté, Azour avait affirmé que sa rencontre avec le chef de l’Etat avait permis de passer en revue les réformes constitutionnelles, politiques, sociales et économiques lancées. Par ailleurs, la Cheffe du gouvernement Najla Bouden avait présenté lors de sa rencontre avec Jihad Azour, le programme de réformes du gouvernement.

En marge de sa visite en Tunisie, Jihad Azour, avait dressé un bilan selon lequel la Tunisie doit remédier de toute urgence aux déséquilibres de ses finances publiques en améliorant l’équité fiscale, en limitant la croissance de l’importante masse salariale dans la fonction publique, en remplaçant les subventions généralisées par des transferts à destination des plus pauvres, en renforçant son dispositif de protection sociale et en réformant les entreprises publiques qui perdent de l’argent, afin de résorber rapidement les déséquilibres profonds dont pâtit son économie et d’assurer la stabilité macroéconomique.

« Nous saluons donc la récente publication par le gouvernement de son plan de réformes. Mais il est essentiel que le gouvernement décrive plus en détail chacune des mesures de son plan de réformes, et qu’il en débatte avec l’ensemble des parties prenantes, afin que celles-ci fassent cause commune et participent à sa mise en œuvre. De cette manière, en assurant un dialogue ininterrompu avec ses principaux interlocuteurs ainsi qu’une communication plus large, le gouvernement augmentera les chances de réussite de ses politiques », avait-il déclaré.

Le FMI a suspendu ses discussions avec la Tunisie

Coup de théâtre en mars 2023 lorsque la présidente du conseil des ministres italienne, Giorgia Meloni affirme que le FMI a suspendu ses discussions avec la Tunisie alors que l’Italie soutenait l’octroi d’un prêt de 1,9 milliard de dollars à la Tunisie sans lequel le pays risquerait d’être déstabilisé, ce qui déclencherait une nouvelle vague de migration irrégulière vers l’Europe.

Kais Saied opposé à la levée des compensations et à un accord avec le FMI

En avril 2023, Kai Saïed affirme que la Tunisie est capable de sortir de la crise par ses propres moyens et qu’elle reste opposée à la levée des compensations, exprimant ainsi son refus des conditions dictées par le FMI. Il n’avait d’ailleurs cessé de répéter qu’il restait fermement opposé aux instructions émanant de l’étranger, assurant que la Tunisie est capable de sortir de la crise par ses propres moyens.

Il avait également laissé entendre qu’il n’y aura pas de levée des compensations, rappelant qu’une telle mesure avait conduit aux émeutes du pain en janvier 1984. Et c’est pour cette raison qu’il reste opposé à un accord avec le Fonds monétaire international, qui pose comme condition une levée des compensations.

La surtaxation, nouvelle arme de Kais Saied contre les diktats du FMI ?

En juin 2023, Kais Saïed proposait de nouvelles alternatives pour contrer l’emprise et les diktats du FMI évoquant ainsi la possibilité de proposer une nouvelle alternative celle de prélever des impôts à ceux qui n’ont pas besoin de subventions et ce dans le but d’assurer un financement soutenu de la caisse de compensation. C’est pour la deuxième fois que le président de la République évoquait ce plan de surtaxation pour éviter la levée brusque des subventions.

La Tunisie fait face à des défis sérieux, selon la directrice du FMI

En février 2024, la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, a souligné que la Tunisie fait face à des défis sérieux malgré les revenus du tourisme évoquant notamment la hausse de l’inflation, et la faiblesse de la croissance, qui reste modérée.

Dans ce contexte, si Kais Saied s’oppose aux réformes exigées par l’institution de Bretton Woods, celles relatives, notamment, à la suspension des subventions des produits de base et des hydrocarbures, et à la question, encore plus brûlante, de la privatisation des entreprises publiques, le FMI considère ces réformes comme une condition sine qua non pour débloquer le prêt.

 

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