Il y a vingt ans, bataille autour du cercueil de Yasser Arafat

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« Danse macabre », « sinistre cacophonie », « bousculade inconvenante », « drame shakespearien » ou « vaudeville tragique »… Jusqu’à ce matin du 11 novembre où, à 3h30, un sobre communiqué a annoncé le décès officiel de « Monsieur Arafat », on ne savait comment qualifier la pièce, sur la scène au décor chaotique où le leader palestinien, dans son lit médicalisé du service des soins intensifs de l’hôpital Percy (à Clamart, près de Paris), avait sombré dans le silence. Contraint, pendant près de deux semaines, d’abandonner son corps à des mains étrangères et de laisser à d’autres la charge d’organiser l’avenir de son peuple.

Lui qui ne s’en remettait jamais au hasard et qui avait toujours assuré sa sécurité dans les moindres détails, lui qui s’était montré un orfèvre dans l’art de manœuvrer ses troupes et de manipuler les hommes, lui, le survivant si souvent applaudi quand il surgissait des ruines et des épaves en faisant le « V » de la victoire, avait brutalement dû lâcher les commandes. Toutes. D’un seul coup.


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Les accusations du Hamas

Comment s’étonner, dès lors, du saisissement manifesté par des fidèles qu’Abou Ammar (son nom de guerre) avait habitués, depuis des lustres, à le suivre avec une confiance aveugle ? Il fallait « donner du temps au temps » afin d’élaborer un nouveau dispositif politique dans une région ô combien sensible, préparer l’annonce de la mort pour éviter qu’elle n’embrase la rue, bref, entamer le travail de deuil avant même que fût proclamée l’issue fatale. Au risque de faire croire, comme cela fut le cas maintes fois dans l’Histoire, qu’on maltraitait encore cyniquement un corps encore chaud.

Cette étrange période fut d’abord marquée par l’incrédulité. L’état de santé de Yasser Afarat s’était dégradé sans que les médecins réussissent à formuler aucun diagnostic précis sur l’affection dont a souffert leur patient. Chacun fut donc libre d’improviser à partir des quelques bribes d’informations formulées par le général Christian Estripeau, le porte-parole du service de santé des armées françaises, exclusivement sur le mode du démenti : Arafat n’a pas de cancer ; il n’a pas de leucémie ; on n’a décelé dans son organisme aucune substance toxique.

Mystérieux poison

Bref, le chef de l’OLP n’a rien, mais il n’en est pas moins mortellement frappé. De quoi nourrir tous les fantasmes. Et les accusations pour l’heure dénuées de toute justification, à l’instar de celles du Hamas ou de celles des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, groupe armé proche du Fatah, qui évoquent les effets d’une grippe intestinale particulièrement sévère, de la mauvaise alimentation, de l’air vicié du bunker de la Mouqataa où Arafat s’était réfugié pendant le siège, d’une infection virale, voire d’un mystérieux poison, bien sûr administré par les Israéliens, éventuellement sous forme de gaz. Résultat : les Brigades appellent leurs hommes à « frapper Israël partout » pour venger la mort du « Vieux ».

D’où aussi, puisqu’on ne sait toujours rien, cet espoir fou, jusqu’au dernier moment, dans les rues de Cisjordanie, que le président de l’OLP conservait une chance de guérir aussi inexplicablement qu’il était tombé malade. Qu’il échapperait, une fois encore, aux règles admises, fussent-elles celles de la science. Qu’il en avait vu d’autres et qu’on serait bien étonnés de le voir bientôt ressusciter.