La longue histoire de la monnaie au Maroc, des aureus romains au dirham moderne

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Pendant la Haute Antiquité, l’usage de la monnaie, en provenance de la Méditerranée orientale où les Grecs sont très présents, fait irruption au Maghreb. Ces derniers vont tisser des relations commerciales étroites avec les Carthaginois (vin, huile d’olive…) ce qui va inciter les ancêtres des Tunisiens à adopter l’usage de l’argent en lieu et place du troc.

« Les Carthaginois ont tardé eux-mêmes à battre monnaie. Une monnaie qui fut frappée pour la première fois en 404, non pas dans la capitale, mais en Sicile. Usant sans doute avant cette époque de monnaie étrangère quand ils traitaient avec des populations accoutumées à les employer », explique l’historien François Decret dans Carthage ou l’empire de la mer (1977).


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Le paiement monétaire va ainsi se répandre en Numidie (Maghreb central) et en Maurétanie (Maghreb occidental) au fil des siècles. À partir du IIe siècle, avec la domination romaine sur l’Afrique du Nord, le monnayage se généralise. On trouve des traces de la monnaie romaine en vigueur, essentiellement des aureus (ce qui signifie « en or » en latin) dans le Maroc antique. Surtout en Maurétanie tingitane, c’est-à-dire l’actuel nord du royaume chérifien et une partie du centre.

À chaque dynastie sa monnaie

Au VIIIe siècle intervient l’invasion arabe. Selon toute vraisemblance, le dirham est une déformation du mot « drachme », la monnaie grecque en circulation à partir du VIe siècle dans tout le pourtour méditerranéen. Une nouvelle illustration de ce que doit la culture arabe et musulmane au legs hellénique, en particulier à travers l’Empire byzantin. Dès lors, il n’est pas étonnant que dans dar al-islam, du Maghreb au Machrek, deux monnaies sont en circulation : le dirham et le dinar.

« On définissait une pièce d’or unique, le dinar, dont le poids correspondait à 4, 25 g de nos mesures […] et une pièce d’argent, le dirham dont le poids devait être […] 2, 97 g […]. Ces monnaies seraient gravées d’inscriptions arabo-islamiques sans figures », indique l’historien Claude Cahen dans L’Islam, des origines au début de l’Empire ottoman (1997). Lorsque les Idrissides forment la première dynastie du futur Empire chérifien, ces derniers vont essentiellement frapper des dirhams, donc, selon les prescriptions islamiques, des pièces d’argent.

Autre dynastie, autre monnaie : les fameux « marabotin » de l’empire des Almoravides à partir du XIe siècle. « Le symbole de cette expansion fut le dinar almoravide désigné comme le « marabotin » largement diffusé et imité dans l’Occident musulman et chrétien », souligne l’historien Christophe Picard dans son essai Le Monde musulman du XIe au XVe siècle (2000).


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Cette monnaie à cours partout dans l’Empire et au-delà. Plus tard, les Almoravides seront supplantés par une autre famille berbère, celle des Almohades. Ces derniers souhaiteront également, en guise de symbole régalien, introduire leur propre monnayage. En l’occurrence des dirhams carrés. « De nombreux ateliers de frappe monétaire, dispersés de Tunis à Sijilmâssa, émettent le fameux dirham carré des Almohades, une monnaie argentifère », précise Daniel Rivet.

Tout naturellement, ces monnaies, quelles que soient les dynasties maghrébines, suivent à la lettre les préceptes de l’islam. Poids et mesures sont respectés, et les pièces ne portent aucune iconographie. Les oulémas ont le dernier mot : les pièces de monnaie ne sont jamais frappées à l’effigie d’un souverain. Ce dogme est si important qu’ »au XVIIIe siècle, l’ambassadeur marocain al-Miknasi voulut même racheter quelques monnaies musulmanes qui portaient les noms de Dieu et du Prophète », rapporte l’historien Bernard Lewis dans son livre Comment l’islam a découvert l’Europe (1984).


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Moulay Hassan et l’urgence fiduciaire

Au XIXe siècle, le Makhzen, qui doit faire face aux économies libérales occidentales, lance des réformes monétaires structurelles. Conduites sous le règne du sultan Moulay Hassan ben Mohammed (1873-1894), il s’agit d’une nécessité au vu de la complexité du système monétaire marocain au XIXe siècle.

Celui-ci « était fondé sur des monnaies de compte : le metqal, ou ducat, unité monétaire des marchands, comprenant 10 onces. L’once valait 4 mouzounas dont chacune correspondait à 6 flouss. Dans les échanges, ces monnaies étaient représentées par des pièces d’or, le bouquin valant 40 onces ; d’argent le dirham et le ½ dirham de 5 mouzounas ; le billon ; le fels petite pièce de cuivre et de zinc. Parallèlement à ces espèces marocaines, des pièces européennes circulent également sur le territoire. Les plus nombreuses sont espagnoles : « le piastre et le douro », décrit l’historien Jean-Louis Miège dans Le Maroc et l’Europe (1882-1906), Les difficultés (1962).

Pendant longtemps, le dirham est ainsi noyé dans une flopée de coupures et tend à disparaître du royaume, évincé par l’influence des négociants étrangers. Vers le mitan du XIXe siècle, les échanges ne se font quasiment plus qu’en monnaie française ou espagnole tandis que la devise marocaine, à coups de dévaluations successives, ne cesse de se déprécier.

En 1881, le sultan Moulay Hassan veut remédier au problème. Il fait frapper de nouvelles pièces d’argent dénommées les Hassani. Cette devise comprend « le douro ou rial, le nesrial ou demi-douro, le quart de douro ou rbarial, le dixième zouj billioun et le vingtième ou billioun […]. Le hassani était divisé en cinq pesetas, comme le douro espagnol, mais la peseta hassani n’existait pas réellement et n’était que monnaie de compte », explique Jean-Louis Miège.

L’avènement du franc marocain et du dirham moderne

Onze ans plus tard, face à l’échec de cette réforme monétaire, le Makhzen se voit contraint de retirer le Hassani de la circulation puisque sa valeur ne cesse de dégringoler. Un nouvel essai, cette fois avec le sultan Moulay Abdelaziz, qui en 1902 lance le Aziz, se solde à nouveau par un échec patent. En cause, les spéculations de l’Occident qui souhaite, d’une manière ou d’une autre, mettre la main sur l’Empire chérifien.

À la suite de la Conférence internationale d’Algésiras de 1906, une banque d’État est créée. En 1911, le billet de 20 rials fait son apparition. Pour les Marocains, ces billets en papier sont une première. La banque d’État continue de tenter d’assainir la situation en frappant une nouvelle monnaie d’argent. Mais ses efforts seront battus en brèche avec le début de la Première Guerre mondiale et le renchérissement du prix des matières premières, dont celui des métaux.

Deux ans après la fin de la Grande Guerre, en 1920, le franc chérifien est établi, dans un premier temps sous quatre coupures différentes (5, 10, 50 et 100 francs). Une coupure de 500 francs est émise en 1922. C’est la Banque de France qui se charge de frapper la monnaie marocaine et d’imprimer les billets chérifiens. Le franc marocain restera en vigueur jusqu’en octobre 1959. Puis le dirham, nouvelle unité monétaire, sera (re)crée le 1er janvier 1961. Il est émis par la Banque du Maroc, aujourd’hui Bank al-Maghrib, qui remplace la banque d’État du Maroc créée par les accords d’Algésiras.

En mars 1987, Dar as-Sikkah, l’hôtel de monnaie du Maroc, est créé à Salé. Une décision qui permet de produire le MAD, le dirham marocain, qui demeurait jusqu’alors fabriqué en France. Les quatre nouveaux billets de banques de 20 dirhams, 50 dirhams, 100 dirhams et 200 dirhams, présentés en 2024, sortent d’ailleurs des presses de Dar as-Sikkah. Dans le but avoué de protéger l’économie marocaine, le dirham n’est pas convertible. Un héritage, peut-être, des fantômes fiduciaires du XIXe siècle. Une spécificité qui perdure et qui rend au quotidien les transferts d’argent vers l’étranger extrêmement compliqués.

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