La plasticienne Myriam Mihindou, du Gabon au Palais de Tokyo

Date:

De la musique avant toute chose. Plus qu’un art poétique, ce fut, pour Myriam Mihindou, une nécessité. Invitée par le Musée du quai Branly-Jacques Chirac, à Paris, l’artiste a souhaité en premier lieu occuper l’espace par le son.  « Parfois, la vibration est plus importante que l’objet », confie-t-elle dans un sourire.

Pleureuses punu

Ses pas la conduisent dans la verrière, qui abrite les collections d’instruments de musique du musée. Des réserves d’une richesse exceptionnelle, mais inexplicablement muettes. Son choix se porte sur des harpes sacrées du Gabon. Les plus anciennes sont surmontées de têtes zoomorphes, les plus récentes de figures féminines. L’artiste décide de reproduire en céramique ces harpes, qui accompagnent les initiations, et place ces œuvres à l’entrée de l’exposition. Le décor est planté. Ce sera un hommage aux pleureuses punu.


la suite après cette publicité


L’exposition Ilimb l’essence des pleurs, présentée du 6 février au 10 novembre 2024, est un retour aux sources pour Myriam Mihindou, née en 1964 à Libreville d’une mère Française et d’un père Gabonais de culture punu, peuple bantou présent notamment dans le sud du pays.

« Si j’avais vécu au village, j’aurais été pleureuse », admet l’artiste, qui a souhaité remercier ces femmes qui l’ont aidée à porter le deuil de son père. Au centre d’une société matriarcale, ces veuves assurent le transport de l’âme du défunt et consolent les personnes endeuillées dans une ritualisation subtile. « La gestion des larmes exige des pleureuses une connaissance scientifique, généalogique, historique, intime et spirituelle, souligne Myriam Mihindou. Elles sont l’un des derniers maillons d’un héritage ancestral. » Un patrimoine immatériel en péril, qu’il est nécessaire de transmettre.

Ciel gabonais

Pour mettre les visiteurs en contact avec cette culture d’accompagnement des morts, mystique et cathartique, l’exposition se doit d’être immersive. « Il a fallu mettre en place un dispositif qui consiste à convoquer les pleurs de ces femmes dans un champ vibratoire », confirme la plasticienne. Ainsi, l’œuvre qui structure l’espace de l’exposition, une sculpture végétale, véritable ligne de vie tressée avec du bois de saule qui ondule sur une vingtaine de mètres, se veut à la fois tactile et sonore. Quand on la caresse, un système de détection magnétique pensé par le concepteur acousticien Didier Blanchard produit des sons, des bruits de percussions ou bien ce roulement de tonnerre qui gronde quand le ciel gabonais s’ennuage et se fait menaçant.

Plus loin, devant une sculpture en bois représentant la main d’une pleureuse, on écoute un enregistrement d’Annie-Flore Batchiellilys, qui, de sa voix lustrale et magnifique, chante a cappella une complainte composée pour l’occasion.


la suite après cette publicité


Myriam Mihindou multiplie les moyens d’expression plastiques. Céramiques, sculptures, vanneries, dessins aux lignes épurées ou brisées, figure de cheval construite en filant des pièces de monnaie dans des tiges en cuivre, poteries en sel, argile et kaolin blanc émaillent le parcours. Une constante dans son œuvre, à travers laquelle elle souhaite avant tout extérioriser ses émotions. Et si le dessin reste la pierre angulaire de son travail de recherche, le déclic a peut-être été la photographie.

La plasticienne gabonaise Myriam Mihindou, au Musée du quai Branly, à Paris, en 2024. © Photo Thibaut Chapotot

La plasticienne gabonaise Myriam Mihindou, au Musée du quai Branly, à Paris, en 2024. © Photo Thibaut Chapotot

« Mon pays dans une flaque »

Encore adolescente, Myriam Mihindou révèle des films dans le laboratoire de Jean Trolez, un photographe français alors installé à Libreville, qui réalise des cartes postales dans tout le territoire gabonais. « J’ai découvert mon pays dans une flaque », s’amuse-t-elle. Alors que le photographe se rend dans de nombreux villages à l’intérieur des terres, leurs images se dessinent dans les cuves de développement des films. « Je n’arrivais jamais à me décider à fixer les films. Fixer l’image, c’est une mélancolie. Quand on révèle une image, c’est un paysage. Il est ouvert, mouvant. Il est vivant et il ondoie. Quand on le fixe c’est un fossile, c’est la mort », se souvient-elle. La suite de sa vie sera un long voyage.