Publié le 13 décembre 2024
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« Laisse tomber la neige. C’est l’hiver. » Ces mots du rappeur Oxmo Puccino résonnent, sur des notes de cordes mélancoliques, au cœur de ce nouvel album de Pedro Kouyaté. « Laisse tomber la neige en leur mémoire, et dans tes yeux, garde cette lumière qu’ils aimaient voir. » Avec Following, il évoque en bambara et en français l’esprit de ceux qui ont compté pour lui, entre musiques mandingues, blues et slam. Ses proches disparus, mais aussi le joueur de kora Toumani Diabaté, décédé en juillet dernier et dont il fut, tout jeune, à Bamako au Mali, musicien au sein du Symmetric Orchestra, avant de parcourir le monde en accompagnant, à la calebasse, le chanteur et guitariste Boubacar Traoré.
Patrimoine immatériel
« Ce disque parle de prendre la suite de nos ancêtres, de nos valeurs qu’on perpétue à travers les instruments traditionnels. Ce patrimoine immatériel, qui se transmet au fil des événements de la vie, ne peut se perdre. On peut tout perdre, sauf sa culture, observe-t-il, avec enthousiasme. Moi, je suis dans cette voie qu’on appelle le jazz, une juxtaposition et un mélange de styles comme le ragtime, le negro-spiritual, le blues et la world music. »
Fier de cet opus, produit par le label Quai Son Records, une division de Jazz Magazine, où il convie également le trompettiste Erik Truffaz, le batteur Manu Katché, le chanteur Arthur H et le bluesman américain Big Daddy Wilson, il insiste : « Il n’y a aucun complexe pour un africain ayant grandi en Afrique à se revendiquer du jazz. Le twist et le swing puisent leurs origines en Afrique. Dans les champs, les esclaves chantaient sous les coups de fouets. »
Un passeur, un griot…
Arrivé à Paris, il avait quitté les scènes prestigieuses arpentées avec Boubacar Traoré pour les couloirs du métro du côté de Strasbourg-Saint-Denis, Jourdain ou République. « J’y vais toujours, et c’est une chance, un atelier souterrain qui te permet d’attirer l’attention, et de tester tes nouvelles compositions. Les musiciens sont égocentriques, ils aiment la lumière. Là-dessous c’est différent. Surtout pour un africain, d’être sous le sol, c’est très spécial. Tous mes albums ont mûri dans ce cadre-là. »
En novembre, quelques jours après le concert de sortie de son album au studio de l’Ermitage, il enchaîne avec un concert solo aux allures de conférence sur les contes et légendes d’Afrique de l’Ouest et les instruments traditionnels, dans une médiathèque de région parisienne. Un passeur, un griot… « Je suis un Kouyaté. Tout ce qui se répète ne meurt pas, je suis né avec une mission, et quand tu as un pouvoir, il faut l’exercer. Kouyaté veut dire “né pour transmettre”, c’est un devoir. Je n’oublie pas que c’est la rue qui m’a tout appris. »
Paix des âmes
Pour la première fois sur Following, le multi-instrumentiste et chanteur parle de lui, aborde des thèmes plus intimes ou personnels. « Comme tout le monde, j’ai fait l’expérience de la perte d’êtres chers. Moi-même, quand ma sœur s’est suicidée, j’ai voulu la suivre… Je suis resté dix jours dans le coma, c’était ma petite mort, et je suis revenu différent. C’est pourquoi je suis plus sensible, maintenant, à l’esprit de ceux qui sont partis… Toumani nous surveille. » Mysticisme ? Sans doute, pour celui qui dit prier et marcher des heures sous la pluie, « une pratique spirituelle pour la paix des âmes ». Son nouveau disque évoque également la femme africaine, l’esclavage, Thomas Sankara, la maladie et la guérison, le Sahara… Et il est excellent.