Nincemon Fallé : « À l’université, on voit le meilleur et le pire d’une vie d’adulte »

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Des amphithéâtres bondés, des étudiants surnommés « les Kosovars », qui, la nuit, dorment dans les locaux de l’université, des professeurs qui couchent avec des étudiants et des étudiantes… Cet état des lieux, saisissant, rappelle celui fait en République centrafricaine par Rafiki Fariala dans le documentaire Nous, étudiants ! 

Au système qui les écrase les deux protagonistes opposent leur farouche volonté de dépasser le déterminisme. Iro s’adresse ainsi à son ami Thierry : « Les études, le travail, tout ça, ça n’a rien d’un miracle. Le fait que ce soit difficile ne signifie pas que ce soit impossible. Je vois le doute, la peur dans le regard des gens mais, Thierry, je te jure que ce n’est rien comparé à la force dont ils font preuve. Ils enchaînent les petits boulots, bravent soleil et bus irrespirables, dorment dans la rue chez des tuteurs ou dans les amphis, et toutes leurs économies partent en fumée dans les livres de cours ».


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C’est cette énergie de l’espoir que montre Nincemon Fallé, celle-là même qui l’a poussé à se porter candidat au Prix Voix d’Afriques, dont il a été le lauréat. Il est la preuve vivante du talent de la jeunesse ivoirienne, qu’il décrit avec finesse et profondeur. Rencontre.

Jeune Afrique : Dans quelles circonstances avez-vous concouru pour le Prix Voix d’Afriques, organisé par les éditions Lattès ?

Nincemon Fallé : Je m’étais lancé comme ultimatum de terminer mon manuscrit et de participer à cette dernière édition du Prix Voix d’Afriques ou bien de jeter ce roman aux oubliettes. En près de trois années d’écriture, de bras de fer avec mes personnages et leurs vies, je ne pouvais me résoudre à ajouter ce projet au cimetière de mes projets inachevés. Je l’ai donc écrit parallèlement à mon travail et je me suis même autorisé quelques petites frayeurs, comme celle de soumettre le manuscrit [au jury] à quelques minutes de la fermeture du site. Dès le départ, j’y ai cru fermement, je visitais le site chaque jour en attendant les résultats et je comparais mon roman à ceux des autres candidats. C’est dire le niveau d’obsession !

Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que vous en étiez le lauréat ?


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La nouvelle est tombée quand j’avais cessé d’attendre. Le prix était en pleine réorganisation interne, la situation s’éternisait et j’avais fini par croire que l’affaire était close. Le mail d’Anne-Sophie Stefanini [directrice littéraire des éditions Jean-Claude Lattès et membre du jury présidé par Mohamed Mbougar Sarr] a mis mon esprit sens dessus dessous. Pendant plusieurs semaines, j’ai cru rêver.

Comment l’envie d’écrire vous est-elle venue ?


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Depuis mon enfance, l’envie de raconter des histoires ne m’a jamais quittée. J’ai grandi en me constituant mon propre univers, en me réfugiant dans des histoires, parfois contre la solitude que j’entretenais en bon introverti. Je puis vous citer tous les dessins animés de mon enfance et vous dire pourquoi ils ont compté pour moi, il en va autant des films et des livres. Je suis passé du dessin à l’écriture, au collège, et je n’ai pas arrêté depuis. Mon expérience de l’université en licence de lettres, mon premier stage, les premières angoisses du passage à l’âge adulte… À chaque moment important j’ai ressenti le besoin de raconter.

« Écrire, écrire jusqu’à ce qu’il ne me reste plus aucune force, plus rien à dire, plus de ressentiment ni de colère, écrire jusqu’à y laisser mon âme. » Est-ce vous qui vous exprimez à travers le personnage d’Iro ?

C’est littéralement ça, mon expérience de l’écriture. Je me suis rendu malade à lutter contre l’envie de remettre la prochaine phrase au lendemain, à aller chercher l’inspiration même quand elle me résistait de la plus vicieuse des manières. La différence entre Ces soleils ardents et les romans que je n’ai jamais achevés, c’est que, pour la première fois, l’histoire ne m’appartenait pas, le message allait au-delà de ma petite personne, ces questionnements me hantaient, écrire revenait à m’exorciser. J’en suis d’autant plus convaincu aujourd’hui quand des lecteurs de Côte d’Ivoire, du Cameroun, de France, du Sénégal ou encore du Canada me disent à quel point ils se reconnaissent en Iro ou en Thierry.