« Rabia » : l’actrice Lubna Azabal incarne la Veuve noire du jihad

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Difficile de trouver un créneau pour rencontrer l’actrice belge, d’origine marocaine, tant elle multiplie les projets. Sur tous les fronts, Lubna Azabal, 51 ans, commence les répétitions d’une pièce de théâtre, alors qu’elle est à l’affiche de Rabia, et revient tout juste de deux mois de tournage aux États-Unis pour les besoins d’un road-movie indépendant. « Je suis rentrée hier, je suis un peu jet lag, prévient-elle. Donc, si je bafouille, vous ne m’en voudrez pas », poursuit-elle, à l’autre bout du fil, un sourire perceptible dans la voix.

Face à cette bonne humeur et à son naturel, on peine à l’imaginer dans la peau d’un personnage terrifiant, comme celui qu’elle incarne dans ce thriller psychologique sur l’endoctrinement des jeunes filles mené tambour battant. Dans ce (réussi) premier long-métrage de la réalisatrice allemande Mareike Engelhardt, elle joue Madame, un rôle inspiré de Fatiha Mejjati, surnommée la Veuve noire du jihad, cette Marocaine considérée comme l’une des terroristes les plus dangereuses et qui serait toujours recherchée par Interpol. Gérante d’une madafa, une maison réservée aux femmes dans l’État islamique, elle est chargée d’accueillir des jeunes célibataires venues du monde entier pour rejoindre la Syrie en vue de les marier aux jihadistes.


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Rencontre avec des jeunes filles qui ont quitté Daesh

Parmi ses protégées : Rabia. Cette Française qui a tout quitté dans l’espoir d’une vie meilleure voit son avenir s’obscurcir quand elle refuse de s’offrir à un soldat. Condamnée à rester enfermée dans la maison, elle subit bientôt des séquences de torture infligées par la maîtresse des lieux, avant de tomber sous son joug et de devenir bourreau à son tour par instinct de survie.

« Mon personnage, proche des profils de psychopathes, croit en sa folie et pense aider les soldats en organisant ces mariages en 24 heures. Or, il s’agit d’un système de traite des femmes et de viols officialisés sous le couvert de la religion », accuse l’actrice qui a travaillé « comme une journaliste » pour préparer ce rôle. Elle a rencontré des jeunes filles qui ont réussi à s’enfuir pour quitter Daesh et s’est énormément documentée sur celle que l’on nomme aussi Umm Hudaifa. « Une figure qui, dans sa monstruosité, fascine, résume Lubna Azabal. Cette femme de pouvoir, qu’on appelait Cheikha en raison de son statut [elle a été l’épouse d’Abou Bakr al-Baghdadi, calife de l’État islamique de 2014 à 2019], a réussi à agrandir la ouma [communauté de musulmans du monde entier], en agissant comme une proxénète. »

Pour camper un tel personnage, rigide et dénué d’affects, Lubna Azabal a suivi sa préparation physique de toujours. « Je me suis mise dans une bulle, je n’ai vu personne jusqu’à ce que je rentre dans cet autre corps, expose-t-elle. En général, je mets beaucoup plus de temps à rentrer dans la peau d’une autre qu’à en sortir, car je suis tellement épuisée intérieurement après de tels rôles que j’ai besoin de faire la fête assez rapidement, de voir mes potes, de picoler », sourit-elle.

Un rôle de composition, comme pour Le Bleu du caftan de Maryam Touzani, pour lequel elle avait perdu énormément de poids. Mais plus que la prouesse physique, c’est avant tout le scénario qui l’amène à se saisir d’un personnage. « Dans le film de Maryam, il y avait quelque chose de l’ordre du tabou qui m’a tout de suite convaincue. Moi qui suis de culture arabe, rejoindre un projet qui traite de l’homosexualité au Maghreb relève du politique », admet-elle.


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Filmographie politique

On lui colle d’ailleurs volontiers l’étiquette d’actrice politique au regard de sa filmographie qui convoque souvent de près ou de loin l’actualité, ou soulève des questions qui agitent le débat public. Pêle-mêle : elle a marqué la critique et le public en 2010 pour son rôle dans Incendies de Denis Villeneuve, une adaptation de la pièce du Libanais Wajdi Mouawad qui raconte la trajectoire d’une famille prise dans la guerre civile au Moyen-Orient. Dans Pour la France de Rachid Hami, elle incarnait la mère du jeune Aïssa Aïdi, un élève-officier mort noyé à Saint-Cyr lors d’un rituel d’intégration. Ce film inspiré de l’affaire Jallal Hami posait la question de l’identité française et de l’idéal républicain quand on est issu de l’immigration.

Plus récemment, elle jouait une professeure aux prises avec la radicalité de certains de ses élèves dans Amal, un esprit libre, de Jawad Rhalib, sorti quelques mois avant la commémoration, en France, de l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie mort décapité non loin de son établissement pour avoir montré des caricatures de Mahomet. Autant de projets qui se présentent comme des miroirs de la société.


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« On relève souvent cet aspect dans ma carrière. Mais le volet politique n’est pas indispensable pour moi quand je lis un scénario. C’est juste qu’on vient vers moi avec ce genre de propositions, et beaucoup moins avec des comédies », constate cette passionnée de films d’horreur, Shining de Stanley Kubrick en tête. Pourtant, c’est avec les comédies de Louis de Funès et de Bourvil qu’elle a été bercée. « Comme toutes les familles pauvres, j’ai grandi avec la télévision, mon père était aussi fan de Charlie Chaplin. Mais en tant que comédienne, quand vous êtes inscrite dans le drame, on n’arrive pas à vous voir dans autre chose. Je pense que c’est une spécificité européenne », estime cette globe-trotteuse qui sait de quoi elle parle.

Actrice sans frontières

Tout au long de sa carrière, cette femme née d’un père marocain et d’une mère espagnole, n’a eu de cesse de repousser les frontières en tournant dans plusieurs langues (en français, en anglais, en hébreu, ou encore en arménien), pour des réalisateurs de toutes nationalités – américaine comme Ridley Scott, belge, britannique, algérienne, marocaine ou bien française comme André Téchiné.

« C’est lui [André Téchiné] qui m’a poussée à faire du cinéma en me disant d’arrêter de chercher le job que je pouvais faire à côté du cinéma », rigole-t-elle. Une carrière internationale à l’image de sa famille, cosmopolite, et de son parcours personnel. « J’ai quitté le foyer tôt, je vis seule depuis l’âge de 15 ans, j’ai énormément voyagé, je suis assez libre, j’ai eu 1 000 vies, j’ai même dormi dans la rue », enchaîne-t-elle dans un débit mitraillette.

Adolescente, elle travaille dans un bar le soir, et suit des cours de théâtre le jour, poussée par un ami photographe. Rien ne la prédestinait pourtant à devenir comédienne, elle qui déteste que la lumière soit portée sur elle. « Mais j’y suis allée, car je suis quelqu’un qui fonce. Et de fil en aiguille, on est venu me chercher. »

On est même allé jusqu’à lui proposer le rôle d’une James Bond girl. « Ça fait longtemps ! Je ne ressemblais pas à ce que je suis maintenant, ironise-t-elle. Mais j’ai refusé ce rôle car le personnage ne m’intéressait pas. » Plus de vingt ans se sont écoulés depuis son premier film pour Téchiné (Loin, 2001), et le temps ne semble pas avoir d’emprise sur elle.

James Bond girl ou pas, à l’heure où le cinéma a encore tendance à invisibiliser les actrices de plus de cinquante ans, Lubna Azabal ne cesse de tourner. Rien que cette année, elle a été à l’affiche de deux films sur grand écran, et de deux sur petit. Tandis qu’elle montera sur les planches dès février 2025 à Bruxelles, puis au printemps à Paris, pour présenter Mère Courage, une relecture extrêmement moderne de la pièce de Bertolt Brecht.

Rabia de Mareike Engelhardt, en salles en France le 27 novembre

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