RSIFF 2024 – Abdo et Saneya , l’art du cinéma muet revisité

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Le film « Abdo et Saneya », présenté dans la section « Arab Spectacular » de la quatrième édition du Festival international du film de la Mer Rouge (RSIFF), qui se déroule du 5 au 14 décembre 2024, est une œuvre qui réinvente un art cinématographique pratiquement disparu : le film muet en noir et blanc.

« Arab spectacular » est une section du festival, dédiée à mettre en avant la richesse et la diversité des récits arabes. Elle célèbre non seulement l’héritage culturel de la région mais aussi son regard contemporain sur des enjeux universels.

Sous la réalisation audacieuse d’Omar Bakri, cette histoire émouvante et poignante transporte le spectateur dans un voyage unique entre traditions égyptiennes et modernité occidentale, tout en explorant des thèmes universels tels que l’amour, la résilience, et la remise en question des normes patriarcales.

 

 

Une entrée en matière saisissante

Le film s’ouvre sur une scène où l’on voit Abdo et Saneya, un couple de paysans égyptiens, fraîchement arrivés à l’aéroport de New York. Déjà désorientés par leur environnement inconnu, ils se perdent rapidement dans le dédale de l’aéroport, incapables de localiser le contact censé les accueillir. Entre confusion et attente interminable, leur espoir s’amenuise. Finalement, ils se résignent à quitter l’aéroport pour la ville, mais leur solitude et leur vulnérabilité ne font que s’amplifier. Avant même d’avoir mis un pied en dehors, ils sont plongés dans un monde d’incertitude et de confusion. Cette introduction, empreinte d’émotion, fixe le ton d’une histoire universelle et profondément humaine : celle de migrants confrontés à l’inconnu, armés uniquement de leur amour et de leur résilience.

Un hommage au cinéma d’autrefois

Omar Bakri, réalisateur accompli, signe ici son deuxième long métrage. Grand admirateur de Charlie Chaplin et des classiques du cinéma muet, il choisit d’exploiter ce style pour raconter une histoire contemporaine. Le film utilise l’esthétique du noir et blanc pour mettre en lumière l’écart culturel entre les protagonistes et leur nouvel environnement. Les dialogues sont remplacés par des pancartes et une bande-son soigneusement composée, mêlant musique orientale et occidentale. Le réalisateur explique que cette absence de dialogues incite le spectateur à se focaliser sur les images et les émotions exprimées par les acteurs.

La dernière scène, filmée en couleur, marque un contraste saisissant avec le reste de l’œuvre. Elle symbolise l’adaptation progressive du couple à leur nouvel environnement et leur entrée dans un monde moderne, tout en offrant une clôture pleine d’espoir à une histoire remplie de défis.

Un récit poignant de résilience

Abdo et Saneya, incarnés respectivement par le réalisateur lui-même et l’actrice Injy El Gamal, sont un couple uni par un amour profond. Par des flashbacks insérés tout au long du film, le spectateur découvre peu à peu leur histoire et les raisons de leur arrivée à New York : leur désir de trouver un traitement pour surmonter leur infertilité.

Le film explore leur difficulté à concevoir un enfant, un sujet souvent tabou dans la société égyptienne. Abdo, un mari loyal et aimant, refuse de céder à la pression sociale et familiale qui l’incite à épouser une seconde femme pour avoir un héritier. Cette résilience face aux normes patriarcales fait d’Abdo un personnage rare et touchant.

Leur voyage à New York, entrepris dans l’espoir de trouver un traitement pour leur infertilité, est semé d’embûches. Ils commencent par passer quelques nuits dans la rue, sans pouvoir trouver un refuge quelconque. Ils n’arrivent pas non plus à trouver de la nourriture, leurs livres égyptiennes n’ayant pas cours aux USA. De toute façon, ni Abdo ni Saneya ne connaissent le concept du change ni ne comprennent pourquoi leurs livres ne sont pas acceptées par les commerçants américains. Abdo commence par dire qu’il est le chef de famille et que c’est sa responsabilité de leur trouver où loger et à manger. « Je suis l’homme« , dit-il. Mais en fait, tout de suite, on va s’apercevoir que Saneya est plus débrouillarde que lui. Lorsque Abdo se fait chasser d’une superette où il voulait acheter à manger parce qu’il n’a pas de dollars, c’est Saneya qui va trouver le subterfuge pour arriver à « acheter » cette nourriture, même si avec de la ruse.

Perdus dans une ville qu’ils ne connaissent pas, ils finissent par trouver refuge chez une famille de migrants égyptiens compatissants. Tandis qu’Abdo peine à conserver un emploi en raison de sa maladresse: dans son premier emploi sur un chariot de vente de Hot Dog, il oublie de mettre le frein, et le chariot dévale la rue ; dans son deuxième emploi dans un fast food, il remplace le sel sur les frites par un produit d’entretien… Saneya, grâce à ses talents culinaires, parvient à trouver un travail stable dans un restaurant où elle introduit avec succès le koshary, un plat traditionnel égyptien.

 

 

Une critique sociale audacieuse

Le film aborde de manière subtile mais percutante plusieurs questions sociales, notamment l’inégalité des sexes et les tabous entourant la fertilité masculine dans les sociétés patriarcales. Abdo lui-même est choqué lorsque des médecins lui suggèrent de faire des tests pour vérifier sa fertilité, reflétant une croyance largement répandue que seule la femme peut être responsable de l’absence d’enfant. Le film remet en question ces préjugés, tout en démontrant que l’amour et la compréhension peuvent transcender ces constructions sociales rigides. Abdo qui, au début du film, se comporte en chef de famille incontesté – c’est à lui de commander, de décider, de pourvoir toit et nourriture – rappelle de temps en temps à Saneya qu’elle n’a pas pu lui faire d’enfants. Il va petit à petit se rendre compte de sa bêtise et va même finir par regretter ses paroles et comportements lorsqu’il apprend que s’ils n’ont pas d’enfants, c’est bien parce qu’il est stérile et que Saneya est saine et sauve. Et comme Abdo avait refusé de répudier Saneya ou de prendre une deuxième épouse, Saneya refusera de le quitter pour aller refaire sa vie et avoir des enfants.

De plus, lorsque Saneya devient la principale source de revenu du foyer, Abdo accepte, bien que difficilement, de s’occuper des tâches ménagères. Cette inversion des rôles traditionnels, bien qu’inconcevable pour un homme de Haute-Égypte, est représentée avec tendresse et humour, illustrant comment l’amour peut permettre de surmonter les barrières culturelles.

Une expérience cinématographique unique

En tant que spectatrice, j’ai été transportée par Abdo et Saneya. Ce film offre une expérience cinématographique rare, rappelant les émotions simples mais puissantes des premiers jours du cinéma. La musique, bien que parfois trop forte, ajoute une dimension émotionnelle qui transcende les mots. Les performances des acteurs, amplifiées par leur gestuelle expressive, captivent et émeuvent, permettant au spectateur de ressentir chaque épreuve et chaque triomphe du couple.

Le film, par son format et son esthétique, offre également une réflexion sur le temps et l’évolution. Il m’a donné l’impression de remonter le temps tout en me plongeant dans une histoire contemporaine, résonnant avec des questions encore pertinentes aujourd’hui. Ce plaisir de regarder un film d’une autre époque, tout en vivant une histoire profondément actuelle, m’a émue et enchantée.

Le message d’Omar Bakri

Omar Bakri, réalisateur et acteur principal du film, a partagé lors de la projection son amour pour le cinéma muet et son souhait de réintroduire ce style auprès du public moderne. Selon lui, le film muet, avec son langage universel d’images et de musique, permet de raconter des histoires d’une manière plus universelle. Le choix de terminer le film en couleur est une décision symbolique qui souligne l’adaptation et l’évolution du couple, tout en marquant une transition vers une nouvelle ère. Abdo et Sanya quittent leur monde en noir et blanc, leur monde traditionnel, pour entrer dans la vie moderne.

 

 

Un film à ne pas manquer

Abdo et Saneya est bien plus qu’un hommage au cinéma classique. C’est une ode à l’amour, à la résilience et à la capacité humaine à s’adapter et à surmonter les obstacles. Ce film rappelle que les histoires simples, racontées avec sincérité et talent, peuvent toucher le cœur des spectateurs de manière intemporelle.

Pour les amateurs de cinéma, ce film d’Omar Bakri est une expérience à vivre. Il redonne vie à une forme d’art oubliée tout en abordant des thèmes universels d’une manière nouvelle et inspirante. Une véritable réussite cinématographique qui restera longtemps dans les esprits et les cœurs.

Neïla Driss

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