Spike Lee, l’un des réalisateurs les plus emblématiques du cinéma américain, est cette année le président du jury de la 4ᵉ édition du Festival International du Film de la Mer Rouge (RSIFF), qui se tient à Jeddah, Arabie saoudite. Connu pour son style provocateur, son engagement envers la justice sociale, et ses récits percutants, il a captivé l’audience avec une conversation où il a partagé anecdotes personnelles, réflexions sur sa carrière, et conseils aux cinéastes en devenir. Son discours était empreint d’humour, de passion, et d’une profonde sagesse.
Une collaboration légendaire avec Denzel Washington
Spike Lee a confirmé qu’il venait de terminer son cinquième film avec Denzel Washington, intitulé High and low, une « réinterprétation » du chef-d’œuvre japonais High and Low de Kurosawa. Il a expliqué : « J’ai toujours été fasciné par Kurosawa. Son film Rashomon a même inspiré She’s Gotta Have It. »
Denzel Washington, qui a interprété des rôles emblématiques dans Malcolm X, Mo’ Better Blues, He Got Game et Inside Man, entretient avec Spike Lee une relation presque familiale. « Nos épouses sont amies, et il y a une magie lorsque nous travaillons ensemble. Nous nous comprenons parfaitement. » Spike Lee a qualifié la performance de Washington dans Malcolm X de « l’une des meilleures dans un biopic ». Il a d’ailleurs saisi l’occasion pour félicitant la star pour son récent rôle dans Gladiator II, pour lequel il vient d’être nommé pour un le Prix Golden Globes du meilleur acteur dans un second rôle.
Interrogé sur une possible retraite de l’acteur, Spike Lee a répondu : « Denzel veut se consacrer au théâtre, et je suis heureux pour lui. Quant à moi, j’ai encore le temps. Kurosawa a réalisé son dernier film à 81 ans. » Il a ajouté : « Si tu peux gagner ta vie en faisant ce que tu aimes, c’est une bénédiction. Mon destin est de devenir cinéaste. »
Les défis de Malcolm X
Spike Lee a évoqué en détail les obstacles rencontrés lors de la réalisation de Malcolm X, un film qu’il considère comme l’un des plus importants de sa carrière. « Le projet était sur le point de s’effondrer à plusieurs reprises », a-t-il expliqué. Les problèmes de budget étaient particulièrement critiques : « Le studio ne voulait pas nous donner l’argent nécessaire pour réaliser le film tel qu’il devait l’être. J’ai dû appeler des figures comme Oprah Winfrey, Michael Jordan et Bill Cosby pour qu’ils contribuent financièrement. »
Il a également mentionné les pressions politiques et sociales : « Beaucoup de gens ne voulaient pas que ce film soit fait. On m’a même conseillé de ne pas m’attaquer à une figure aussi controversée que Malcolm X. Mais je savais que cette histoire devait être racontée. »
Le tournage en Arabie saoudite a représenté un défi logistique et culturel immense. « J’ai attendu deux semaines sur place pour obtenir une ordonnance du tribunal m’autorisant à filmer à La Mecque pendant le hajj. Nous avons finalement eu la permission, une première historique. L’équipe de tournage était composée de musulmans, et nous avons réussi à capturer des moments uniques. »
Cette expérience a profondément marqué Lee : « Filmer des lieux sacrés avec un tel respect a renforcé ma compréhension de la foi de Malcolm et de ce qui l’a transformé. Ce fut une leçon d’humilité pour nous tous. » Il a exprimé sa gratitude envers les autorités saoudiennes pour leur collaboration et leur ouverture. « Être ici aujourd’hui, en tant que président du jury, est une suite logique pour moi. Ce festival me permet de découvrir des cinémas que je connais peu, notamment le cinéma arabe. Et je suis impressionné par la richesse et la diversité des histoires que je découvre ici. »
Une carrière marquée par des combats
Spike Lee a également partagé des réflexions sur son documentaire 4 Little Girls (1997), consacré à l’attentat raciste perpétré par le Ku Klux Klan contre l’église baptiste de la 16e rue à Birmingham, Alabama, en 1963. Cet attentat a coûté la vie à quatre jeunes filles afro-américaines : Addie Mae Collins, Cynthia Wesley, Carole Robertson, et Denise McNair. Spike Lee a expliqué : « Ce film a été émotionnellement difficile à réaliser. Je suis retourné à Birmingham, j’ai parlé aux familles des victimes et à ceux qui les connaissaient. Les parents de ces jeunes filles n’ont jamais pu se remettre de cette tragédie. »
Le réalisateur a décrit l’impact du documentaire : « Le FBI savait dès les premiers jours de l’enquête qui étaient les responsables, mais il a fallu attendre mon documentaire pour que le dossier soit rouvert. Quelques jours avant la nomination aux Oscars, le FBI m’a demandé une copie du film. Une semaine après que le FBI a visionné le film, ils ont inculpé les meurtriers. Cela montre le pouvoir du cinéma pour faire bouger les choses. » Spike Lee a poursuivi : « J’ai travaillé comme un fou pour que ce film attire l’attention du public sur cette injustice. Ce documentaire reste l’une des choses dont je suis le plus fier. »
Conseils aux futurs cinéastes
En tant que professeur à l’université de New York, Spike Lee accorde une importance particulière à la transmission. « Je dis toujours à mes étudiants : ‘Le cinéma n’est pas une plaisanterie. Vous devez y consacrer votre vie, travailler dur et ne jamais tricher’. »
Il recommande souvent des classiques comme Who’s in Town? et invite parfois les réalisateurs à discuter avec ses étudiants. Il a également exprimé son enthousiasme pour les jeunes talents, notamment issus de minorités. « Cette industrie est très dure, surtout pour les Noirs. Mais j’aime travailler avec des acteurs pour leur premier rôle. Certains sont extraordinaires. »
Anecdotes et humour
Avec son humour habituel, Spike Lee a partagé des anecdotes amusantes. « J’ai demandé à Michael Jordan pourquoi il avait accepté de tourner une publicité avec moi. Il m’a répondu : ‘Parce que tu portes mes chaussures !’ ». Il voulait dire qu’ils se ressemblaient, puisque tous deux nés dans le même milieu à Brooklyn.
Il a également évoqué son enfance à Brooklyn : « Mon père détestait les films hollywoodiens, mais ma mère les adorait. Je suis le produit des deux. »
Quant à sa gestion du temps, il a révélé : « Je me lève à 6 heures chaque matin. J’écris souvent pendant quatre heures d’affilée. » Sur les tournages, il préfère limiter les journées à 8 ou 10 heures pour garantir une bonne ambiance et essaye de garder toujours une bonne ambiance, ce qui ne l’empêche pas de hurler à l’occasion s’il le faut. « Si l’équipe n’est pas heureuse, on n’obtient pas le meilleur. »
Spike Lee a conclu sa session en réitérant son amour pour le cinéma et sa gratitude envers la vie : « Êtes-vous prêts à consacrer votre vie à votre passion ? Si oui, vous serez bénis. Moi, je le suis. »
Neïla Driss