Le feuilleton « Selat Rahem » : une opportunité manquée d’aborder le débat sur la gestation pour autrui
Le feuilleton ramadanesque égyptien Selat Rahem (Lien de parenté) dirigé par Tamer Nady et mettant en vedette Eyad Nassar, a suscité un grand intérêt et des discussions animées depuis la diffusion des premiers épisodes. Plongeant dans les méandres de la gestation pour autrui, ce feuilleton explore le dilemme poignant vécu par Hossam, un anesthésiste, et sa femme Laila, qui suite à un accident automobile, ne peut plus porter d’enfants. Confronté à l’impossibilité pour sa femme de concevoir, Hossam se retrouve face à un choix déchirant : celui de recourir à une mère porteuse pour réaliser leur rêve d’avoir un enfant, une pratique strictement prohibée par la loi égyptienne.
Dès les prémices de Selat Rahem, le spectateur est invité à plonger dans les eaux troubles d’une problématique aussi complexe que taboue. Toutefois, malgré les promesses d’une exploration en profondeur de cette thématique sensible, la conclusion du feuilleton a laissé bon nombre de téléspectateurs, moi y compris, sur leur faim. La tragique fin, où le protagoniste se retrouve condamné à mort par le scénariste pour avoir enfreint les préceptes religieux en ayant recours à une mère porteuse, semble refléter une volonté de moraliser le récit, plutôt que de le clôturer sur une note d’ouverture et de réflexion.
Cette résolution prématurée, empreinte d’une morale rigide, occulte les nuances et les enjeux multidimensionnels que soulève la question de la gestation pour autrui. En reléguant le débat au seul prisme de la religion, le feuilleton écarte la possibilité d’aborder de manière exhaustive les implications éthiques, sociales et médicales de cette pratique. La représentation binaire et moralisatrice adoptée par le feuilleton renforce ainsi les stéréotypes et les préjugés, au lieu de les remettre en question et d’encourager une réflexion critique.
Cette tendance à privilégier une perspective unilatérale et dogmatique n’est pas sans rappeler un autre film égyptien, « Gary el-Wuhoosh » (1987), réalisé par Ali Abdel-Khalek, qui aborde également la procréation médicalement assistée. Dans ce long-métrage, la quête désespérée d’un médecin pour traiter l’infertilité d’un patient en recourant à des méthodes expérimentales se solde également par une issue tragique, soulignant l’opposition entre la volonté humaine et divine. La conclusion à tirer de ce film est qu’il fallait accepter son destin et ne pas s’opposer à la volonté divine.
Ces récits, en stigmatisant toute intervention médicale allant à l’encontre des préceptes religieux, et à l’acceptation de son propre destin, donc à la volonté de Dieu, soulèvent des interrogations fondamentales sur le rôle de la religion dans la régulation de la pratique médicale et sur son impact sur le progrès scientifique. En contraignant le champ de l’exploration scientifique et médicale à une conformité avec les enseignements religieux, ces récits limitent les possibilités d’innovation et de compréhension des défis médicaux contemporains.
Au-delà de leur valeur intrinsèque en tant qu’œuvres artistiques, Selat Rahem et Gary el-Wuhoosh soulèvent ainsi des questions essentielles sur la manière dont la religion et la morale influencent notre approche des progrès scientifiques et médicaux. Ces récits mettent en lumière les tensions entre tradition et modernité, entre foi et raison, invitant le spectateur à se questionner sur les limites de la liberté individuelle face aux normes sociales et religieuses.
Dans un monde en perpétuelle évolution, où les avancées médicales repoussent sans cesse les frontières de la science, ces récits nous rappellent l’importance de nourrir un dialogue ouvert et inclusif entre la religion, la morale et la science, afin de concilier les avancées médicales avec les valeurs éthiques et sociales qui nous animent.
Dommage que Selat Rahem n’ait pas pleinement exploité son potentiel pour susciter un débat constructif et faire évoluer les mentalités. Ce feuilleton aurait pu être un catalyseur pour remettre en question les lois et les normes sociales concernant la gestation pour autrui. Il aurait pu inciter les spectateurs à examiner les divers aspects du sujet, que ce soit sur le plan social, médical, éthique, ou même religieux.
Il fut un temps où le recours aux techniques de la procréation médicalement assistée était considéré comme « haram » car il était perçu comme une intervention contre nature et contre la volonté de Dieu. Cependant, aujourd’hui, des pratiques telles que l’insémination artificielle, la fécondation in vitro, la congélation d’embryons ou d’ovocytes, et autres, sont devenues licites et acceptées par la société. Cette évolution soulève des questions sur la manière dont les croyances religieuses influent sur les avancées médicales et sur la perception de la moralité dans le domaine de la reproduction assistée.
La fin tragique de Selat Rahem, où le père se sacrifie en laissant sa vie en échange d’une autre, est une conclusion décevante qui ne fait pas progresser le débat ni la société. Cela renforce plutôt des idées dépassées sur le destin et la morale, en ignorant les possibilités d’espoir et de progrès offertes par les avancées médicales.
Il est regrettable que le feuilleton ait choisi de ne pas exploiter pleinement le potentiel de sensibilisation et d’éducation du public sur des questions complexes et importantes. En négligeant d’approfondir les implications sociales, éthiques et médicales de la gestation pour autrui, Selat Rahem a manqué l’occasion de contribuer à une réflexion plus large sur les défis contemporains de la médecine et de la société. Il est donc essentiel de continuer à encourager un dialogue ouvert et inclusif sur ces sujets, afin de favoriser une meilleure compréhension et acceptation des avancées médicales et sociales.
Neïla Driss