Sous les alcôves en pierre du « Makhzen », la demeure historique du Club culturel Tahar Haddad, d’anciennes écuries et de dépôts de provisions reconvertis en espace artistique, dans la médina de Tunis, le son du oud de Zied Mehdi s’élance. Doux et feutré, il s’impose au public et fait taire les plus bavards. En mars dernier, en plein ramadan, le jeune artiste, vêtu d’une tenue traditionnelle et coiffé d’une chéchia, a ouvert le Festival du oud, dans la vieille ville de Tunis. Un moment de reconnaissance pour ce passionné, qui s’est intéressé à cet instrument dès l’âge de 12 ans.
Influences andalouses et arabes
« Il ne faisait pas partie de ma culture familiale, c’est moi qui ai choisi l’oud, d’abord oriental puis turc et, enfin, tunisien, pour trouver les sonorités que je cherchais », explique le musicien, qui, pour gagner sa vie, travaille pour un fonds d’investissement.
Issu de la classe moyenne tunisoise, fils d’un expert-comptable et d’une artiste peintre, Zied Mehdi tombe amoureux très jeune de la médina de Tunis et de ses ruelles labyrinthiques. Au détour de l’une d’entre elles, il découvre La Rachidia, une association culturelle qui promeut la musique nationale. Il y apprend le répertoire du malouf, une musique traditionnelle tunisienne aux influences andalouses et arabes. « C’est un répertoire difficile à transmettre car on manque de partitions écrites fiables. Sa transmission repose sur la tradition orale, ce qui oblige les musiciens à l’apprendre entièrement par cœur en écoutant et en s’inspirant des plus grands maîtres », souligne Zied qui a longtemps observé le chanteur et compositeur Zied Gharsa, une référence en la matière. « Il avait hérité du malouf par transmission, puisque son père était lui aussi musicien », précise Mehdi.
Confréries soufies
Tahar Gharsa, le père du mentor de Zied, avait suivi les cours de Khemaïs Tarnane, un musicien et chanteur issu d’une famille d’immigrés andalous, qui avait appris le malouf tunisien au sein des confréries soufies. Zied Mehdi est si perfectionniste qu’il décortique les archives de cette musique avec un logiciel sonore.
Pour parfaire cet héritage, Zied a préféré le oud tunisien au oud oriental. Les caisses de résonance, la technique de jeu et le nombre de cordes diffèrent entre les deux instruments. Surtout, le oud tunisien permet de « mieux transmettre le son authentique du répertoire du malouf », la sonorité la plus fidèle à cette musique.
Zied Mehdi entame ainsi une petite révolution. Le oud tunisien est très peu connu et peu pratiqué, sauf par quelques groupes confidentiels, comme l’association Mâlouf Tunisien Paris, en France. Après avoir vécu dans l’Hexagone pendant dix ans pour y faire ses études supérieures et pour son travail, Zied Mehdi a joué dans un orchestre avant de devenir soliste. D’autres lui emboîtent aujourd’hui le pas.
Héritage de l’Afrique du Nord
« Sur les réseaux sociaux, un phénomène a émergé : des jeunes se filmaient en train de jouer du oud et du malouf tunisien. C’est devenu une communauté et, maintenant, au moins six personnes en Tunisie possèdent un oud tunisien, alors qu’avant tout le monde jouait du oud oriental », relate le musicologue italien Salvatore Morra, auteur de travaux sur la musique traditionnelle en Méditerranée. « Je me suis rendu compte que très peu de personnes dans le monde connaissaient cette spécificité nord-africaine du oud, qui existe aussi au Maroc et en Algérie. Il s’agit d’un héritage très particulier, dû aux diverses influences dans la région. Même le oudiste tunisien le plus connu sur le plan international, Anouar Brahem, joue du oud oriental et non du oud tunisien », ajoute le chercheur.
Aujourd’hui, le oud tunisien n’est toujours pas enseigné dans les écoles de musique, sauf à Sfax, dans l’Est du pays, où Salvatore Morra a trouvé Abir Ayadi, musicologue et enseignante, qui pratique cet instrument au conservatoire et qui en a fait sa spécialité. Elle tente d’encourager ses élèves à aller vers cet instrument. « Il ne s’agit encore que d’une poignée de passionnés », note le chercheur. Pour préserver ce patrimoine, Zied Mehdi a ouvert une école du oud ounisien, Dar El Oud Ettounsi.
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Médina de Tunis
« Cela s’est passé assez naturellement : après chaque concert, je recevais des demandes de jeunes, qui me demandaient où acheter cet instrument et comment apprendre à en jouer. » Grâce à Tunistoric, un groupe d’entrepreneurs et d’investisseurs qui se consacrent à la restauration et à la réhabilitation de la médina, Mehdi a lancé son projet durant l’été 2024.
Aujourd’hui, forte d’une trentaine d’inscrits, l’école du oud tunisien vient d’ouvrir ses portes, avec un programme d’apprentissage de cinq ans, consacré à la pratique de l’instrument et au patrimoine musical. Pour Leïla Ben Gacem, propriétaire de plusieurs maisons d’hôtes dans la médina et directrice de Tunistoric, ce projet est d’autant plus crucial qu’il permet de « démocratiser » la culture du malouf et de préserver un pan du patrimoine tunisien. « Ce patrimoine a trop longtemps été difficile d’accès, il faut passer à une véritable transmission institutionnalisée pour le préserver », insiste-t-elle.
Pour Zied, le rêve est devenu réalité. Il a rédigé lui-même toute une méthodologie d’enseignement, qui n’existait pas. Il écrit, aussi, ses propres compositions et interagit en permanence avec ses futurs élèves. « Cette initiative est également importante pour la médina, pour le développement d’un tourisme propre à la vieille ville ainsi que pour les jeunes, qui se réapproprient les lieux et leur culture », conclut Leïla Ben Gacem.