En redressement judiciaire, la société savoyarde Niche Fused Alumina va finalement être reprise par l’industriel Alteo, qui se sépare de 51 de ses 171 collaborateurs. François Hommeril, le président du syndicat des cadres CFE-CGC, ingénieur de formation, qui travaille dans cette usine depuis vingt-six ans, fait partie des licenciés. Un leader d’un syndicat national interprofessionnel qui se retrouve au chômage, c’est inédit dans l’histoire du paritarisme. Interview.
Le Point : Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?
François Hommeril : Je veux d’abord remettre mon histoire dans le contexte… J’ai 63 ans, j’ai réalisé toute ma carrière dans l’industrie. J’ai travaillé à Gardanne pour le groupe Pechiney, avant d’être muté dans une usine à La Bâthie, en Haute-Savoie. Je me suis installé avec femme et enfants dans ce petit village de Savoie de 2 000 habitants. En tant qu’ingénieur, j’ai occupé beaucoup de postes différents. Je suis par ailleurs délégué syndical depuis vingt-six ans et président de la CFE-CGC depuis huit ans. Mon activité professionnelle n’a fait que diminuer à mesure que je m’investissais pour le syndicat. Ces dernières années, je ne passais à l’usine qu’entre quinze et vingt jours par an. Je travaille à Paris la semaine et je rentre à La Bâthie le week-end. C’est chez moi, ma base arrière, mon jardin secret, je connais tout le monde dans mon village. Il y a quelque chose de spécial qui me relie à cet endroit et à cette usine.
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Que s’est-il passé ces derniers mois pour votre entreprise ?
Quand mon entreprise Niche Fused Alumina a été placée en redressement judiciaire, en avril 2024, je me suis évidemment beaucoup impliqué dans le combat pour trouver un repreneur et faire en sorte que l’activité se poursuive. Depuis six mois, j‘ai fait péter le carnet d’adresses, comme on dit. J’ai sollicité les services de l’État, les ministres, y compris le premier d’entre eux, Michel Barnier. J’ai essayé de mettre le dossier en haut de la pile à Bercy, c’est normal, je suis sûr que tout le monde aurait fait la même chose à ma place. Au final, la pression collective qui a été mise a eu de l’effet, cela a abouti à ce qu’un repreneur se sente suffisamment en sécurité pour reprendre l’activité. C’est formidable ! À un détail près… Il ne reprend que 119 des 170 salariés de l’usine. Et je fais partie de ceux qui ne sont pas repris… C’est assez banal comme aventure, je le sais bien. Des histoires comme celles-ci, de sites lessivés avec des licenciements à la clé, il y en a toutes les semaines, mais c’est vraiment difficile à vivre… J’ai souvent parlé en tant que leader syndical de la rupture du salarié avec son entreprise, de ce moment où c’est terminé, où l’on quitte l’entreprise en sachant que l’on n’y reviendra jamais. Mais je ne l’avais jamais vécu pour de vrai… ça fait toute la différence, évidemment !
Maintenant que je l’ai vécu, je peux témoigner de la violence de ce moment où tout d’un coup toute votre carrière se cristallise.
Comment avez-vous appris votre licenciement ?
Après plusieurs mois de combat collectif pour sauvegarder l’usine, le 25 octobre, le tribunal de commerce de Chambéry a validé l’offre de reprise déposée le groupe Alteo. On l’a appris à 16 heures, c’était la joie ! Et puis, trente minutes plus tard, à 16 h 30, j’ai reçu un mail où l’on m’expliquait que j’étais dispensé d’activité avec effet immédiat. Ça fait un drôle d’effet, j’avais beau y être préparé psychologiquement, je me doutais qu’Alteo ne me reprendrait pas, mais d’un coup, cela a pris une autre matérialité. J’ai su que je ne reviendrais jamais dans mon entreprise, que c’était définitivement fini. Maintenant que je l’ai vécu, je peux témoigner de la violence de ce moment où tout d’un coup toute votre carrière se cristallise. On a beau s’y attendre, s’y préparer, en fait, c’est impossible de le vivre bien. Je crois que je garderai toujours un petit caillou dans le ventre en pensant à mon départ de l’usine.
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Quelles sont les conséquences pour vous ?
Je viens de vivre cette expérience qui est très pénible, mais attention, j’en ai bien conscience, et il faut le dire, les conséquences ne sont pas graves pour moi. J’ai 63 ans, je suis en fin de carrière, je vais rester président de la CFE-CGC jusqu’en juin 2026. Je ne suis pas à plaindre. Ma situation n’a rien à voir avec celle de nombreux salariés qui se retrouvent sur le carreau et font ainsi leur entrée dans un long couloir de précarité. Ce qui est marquant, c’est que dans notre dispositif économique aujourd’hui, il n’y a pas de place pour mettre un minimum d’humanité au moment où l’on signifie à quelqu’un qu’il n’a plus sa place dans l’entreprise. Le plus dur, quand on est licencié, c’est que l’on se rend compte brutalement que la seule chose que les actionnaires ont considérée, en l’espèce, c’est le coût que l’on représente pour l’entreprise et aucunement ce que l’on apporte à cette entreprise en tant qu’être humain.