à Flamanville, EDF lance le décompte avant le démarrage de son EPR

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Personne ne se souvient vraiment quand a été installée la banderole… En 2012, date initialement promise pour la fin des travaux ? Plus tard ? Elle était déjà là, en tout cas, lorsque l’actuel directeur du site a pris ses fonctions, début 2020, solidement arrimée au fronton du bâtiment abritant les moteurs diesel, juste devant le dôme de l’imposant réacteur, dressé face à la mer. « Dernière ligne droite pour démarrer Flamanville 3, en toute sécurité en toute sûreté », clame le message jauni imprimé en lettres colossales.

Dix-sept ans après le premier coup de pioche donné sur ce chantier maudit entre tous, plombé d’innombrables retards et déboires techniques, les équipes sont bel et bien entrées dans la dernière ligne droite. Dans une poignée de semaines, les opérateurs s’apprêtent à graver dans le marbre la date de la « divergence » de l’EPR français, pour l’histoire : ce jour-là, un premier neutron viendra casser un atome d’uranium 235, déclenchant la réaction en chaîne. Puis la centrale sera raccordée au réseau d’électricité, auquel elle livrera ses premiers électrons d’ici la fin de l’été.

Un long chemin de croix

En faisant visiter à quelques journalistes le site bourdonnant déjà sous la bruine, tout au bout de la presqu’île du Cotentin, Alain Morvan retient son souffle. Le directeur du projet Flamanville 3, qui avait auparavant piloté les deux réacteurs du site construits dans les années 1970, veille au moindre détail – jamais le parc français n’a connu de réacteur d’une telle puissance. 1 600 MW – un mastodonte – et un bijou de sûreté, avec son enceinte à double paroi et son dispositif de recueil et de refroidissement du « corium » (un composant du cœur en fusion).

Un bijou de complexité, aussi, avec ses 460 000 tonnes de béton et ses 400 kilomètres de tuyauteries, qu’il aura fallu modifier 17 fois sur la durée de la construction, entamée en 2007… avant que les plans soient achevés ! Voulu par les dirigeants français et allemands après l’accident de Tchernobyl, élaboré dans la douleur par le français Framatome et l’allemand Siemens, le monstre de béton et d’acier aura connu tous les déboires, et voit finalement le jour avec douze ans de retard, et des coûts qui se sont envolés à 13,2 milliards d’euros, hors frais financiers.

Emmanuel Macron était attendu en mai pour célébrer l’imminence de la mise en service, tourner définitivement la page de dix-sept ans de galères et saluer l’arrivée d’une arme cruciale pour la décarbonation du pays… Il a dû annuler, pour cause de crise aiguë en Nouvelle-Calédonie. Puis une nouvelle crise politique a surgi, mettant une nouvelle fois en sursis l’avenir du programme nucléaire français (La France insoumise, comme EELV, veulent en sortir). Alors personne n’est venu.

Sur le parking, les visiteurs en rigolent. « Quand on vous dit que ce chantier est maudit… » Les équipes ont fêté entre elles la délivrance, par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), de l’autorisation de mise en service du réacteur le 7 mai dernier. La semaine suivante, le combustible a été chargé, permettant de réaliser les ultimes tests, en conditions quasiment réelles. « Nous avons au total 1 500 critères à vérifier avant le raccordement au réseau », liste Alain Morvan, tendu vers l’objectif. Pour en comprendre la nature, il faut visualiser le fonctionnement de cet EPR – comme les autres réacteurs à eau pressurisée classiques, mais en plus sûr, et en beaucoup plus gros.

Batterie de 1 500 tests

Sur le principe, il s’agit toujours d’utiliser la chaleur créée par la réaction nucléaire pour chauffer de l’eau, dont la vapeur sera utilisée pour faire tourner une turbine, et fabriquer de l’électricité. Sitôt le cœur du réacteur chargé de son combustible (de l’uranium 235 enrichi à 4,2 %), la gigantesque cuve a été remplie de 300 mètres cubes d’eau, puis son couvercle, scellé. C’est dans ce circuit primaire du réacteur, totalement isolé, qu’aura lieu la fission nucléaire.

EDF a réalisé une série d’essais « à froid », pour vérifier le comportement de chacun des éléments : les quatre pompes qui propulsent l’eau à travers le réacteur (à un débit de 28 000 m3/h chacune), et surtout les 89 « grappes de contrôle », ces crayons situés dans la cuve au-dessus du combustible, composés d’une matière qui absorbe les neutrons. Ils servent à réguler la puissance du réacteur et, en cas d’emballement de la réaction en chaîne, permettent de la stopper net : il suffit alors de lâcher toutes les grappes dans le cœur du réacteur.

Après ces essais à froid, une autre série d’essais a été conduite avec une eau portée à 110 °C et à une pression de 155 bars. Le 6 juillet, la température a été portée à 310 degrés (c’est cette température qui sera atteinte au moment de la divergence), pour éprouver les systèmes de refroidissement du cœur, et le circuit secondaire : celui, séparé du cœur, dans lequel la vapeur d’eau vient actionner la turbine. Le cœur de la centrale a commencé à battre dans la salle des machines, où résonne le bruit âcre des pompes, et la sourde musique de la gigantesque turbine Arabelle, un monstre de 1 500 tonnes, qui tourne actuellement, actionnée par un moteur, à 8 tours par minute. Quand le réacteur sera en marche, elle atteindra la vitesse folle de 1 500 tours par minute. Les tuyaux gigantesques attendent de recevoir la vapeur d’eau. « C’est comme faire démarrer une voiture en restant à l’arrêt », explique Alain Morvan. Le patron n’attend plus qu’un ultime feu vert de l’ASN pour appuyer sur l’accélérateur.

Derniers essais

Dans les jours qui viennent, la température de l’eau dans le réacteur sera à nouveau portée à 303 degrés, pour tester une à une les 89 grappes de contrôle à cette température. « Je transmettrai alors à l’ASN un dossier complet, pour qu’elle puisse délivrer l’autorisation de divergence », précise-t-il. Sauf ultime imprévu, la réaction de fission devrait donc commencer d’ici la fin juillet. D’autres tests auront alors lieu – quand le réacteur aura atteint 10 % de sa puissance, puis 25 %… Alors seulement, il sera « couplé » au réseau, c’est-à-dire raccordé, et ses premiers électrons envoyés dans les foyers français. D’autres « paliers » suivront – 60 %, 80 % de puissance –, d’autres tests, avant que l’ASN ne délivre une nouvelle autorisation : celle de fonctionner à pleine puissance, une étape attendue d’ici la fin de l’année. À terme, le réacteur alimentera en électricité l’équivalent de 2 millions de foyers.

Depuis 2017, les opérateurs sont formés dans un simulateur, exacte réplique de la salle de commandes, véritable cerveau et système nerveux de la centrale. Chaque élément de contrôle s’affiche sur les écrans géants – température, pression, nombre de neutrons dans le réacteur, taux de bore dans l’eau, un élément essentiel pour contrôler l’activité des neutrons.

À LIRE AUSSI Brice Lalonde et Yann Wehrling : « L’écologie politique doit accepter le nucléaire » « Chaque équipe a rejoué au moins deux ou trois fois l’opération de divergence du réacteur », explique Grégory Heinfling, responsable d’exploitation de l’EPR. Lorsqu’elle sera lancée, la réaction en chaîne ne s’arrêtera pas avant dix-huit mois et la première grande visite de contrôle de l’EPR, qui aura alors produit 14 TWh, soit l’équivalent de toute la production solaire française en 2020. Au prix d’une longue attente, et d’une centrale destinée à rester un « démonstrateur » : les EPR2 voulus par Emmanuel Macron, d’un design beaucoup plus simple, ne seront – s’ils sont un jour construits – que ses lointains cousins. La banderole, elle, annonçant depuis des années la fin d’un calvaire qu’on pensait ne plus voir arriver, ne sera sans doute jamais enlevée : « On ne peut plus faire passer de nacelle entre les bâtiments, il faudrait créer un accès par le toit, sourit Alain Morvan. Aujourd’hui, ce n’est pas notre priorité. »


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