Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a déclenché une véritable bitcoinmania, avec des cours dépassant les 100 000 dollars avant de retomber. C’est que le président élu arrive comme le Père Noël avec plein de cadeaux dans sa hotte. Un futur Bitcoin Act facilitera l’usage des cryptomonnaies, des réserves stratégiques seront constituées en bitcoins. Et puis en nommant Paul Atkins, pro-crypto notoire à la présidence de la SEC, le gendarme boursier américain, il évince Gary Gensler l’ennemi juré de la communauté.
Même si la vigilance de la SEC n’est pas près de se relâcher dans un secteur où les scandales se sont multipliés, l’arrivée de Trump, flanqué d’Elon Musk, ce fou de techno, sonne comme une consécration pour le bitcoin né dans l’indifférence il y a plus de quinze ans. Les cryptos sont encore en marge de la finance mondiale : leur capitalisation atteint 3 300 milliards de dollars contre 110 000 milliards rien que pour les actions. Mais l’envolée de leur cours suscite de plus en plus de curiosité. Retour sur une courte histoire.
Pour le bitcoin tout a commencé le 31 octobre 2008 avec la publication d’un Livre blanc par un inconnu devenu illustre : Satoshi Nakamoto dont on ne sait toujours pas s’il est une personne ou un groupe ou même s’il est japonais… « À l’origine, ses créateurs voulaient une monnaie qui garantisse leur vie privée en jouant sur l’anonymat de leurs échanges », explique Odile Lakomski-Laguerre, professeur à l’université Picardie-Jules Verne spécialisée en monnaie et finance. Une monnaie de surcroît incensurable, c’est-à-dire dont nulle autorité ne peut empêcher la libre disposition par chacun.
Le projet s’inspire des idées du mouvement Cypherpunk, apparu dans les années 1980 du côté de Berkeley en Californie. Ces dingues de techno, développeurs ou mathématiciens, ont voulu créer une monnaie qui s’échange librement d’ordinateur à ordinateur sans aucune interférence des États ou des banques. Une monnaie cryptographiée, pour en assurer l’anonymat et gérée non pas par une banque centrale mais par chacun en réseau. Une monnaie décentralisée opposée à celles existantes. Chaque détenteur possède une clé privée qu’il est le seul à connaître et une clé publique connue de tous pour que le compte puisse être approvisionné.
Gare à ceux qui perdent leur clé privée, ils ne reverront plus leurs bitcoins même si certaines méthodes de récupération ont vu le jour. Il ne s’agit pas d’une clause de style. On estime ainsi que quelque 3 millions de bitcoins (sur 19,5 millions) auraient été perdus, surtout dans les premières années. Drôle de monnaie. Née d’idées libertariennes empruntées à l’anarcho-capitaliste Murray Rothbard, élève de Ludwig von Mises qui, avec Friedrich Hayek, fut un représentant éminent de l’école autrichienne. Tous prônaient un laisser-faire intégral y compris pour la monnaie. La philosophe américaine Ayn Rand théoricienne de « l’égoïsme rationnel » aurait bien aimé aussi le bitcoin.
Un peu plus tard, bien des figures de la Silicon Valley comme Peter Thiel, Marc Andreesen, sans parler d’Elon Musk joueront à fond les cryptos apparues dans la foulée du bitcoin comme Litecoin (2011), XRP (2012), Ethereum (2015), Cardano (2017), Solana (2020)…
Pas plus de 21 millions de bitcoins
Techniquement, Nakamoto n’a rien inventé : la blockchain, la cryptographie, le « peer-to-peer » existaient. Mais en agençant ces outils, de manière géniale, il a donné naissance au bitcoin. Ainsi, la création de la première cryptomonnaie repose sur des opérateurs (les « mineurs ») qui entrent en compétition pour valider toutes les dix minutes les transactions du réseau enregistré dans un bloc. Une fois inscrit sur le registre, le bloc ne peut plus être modifié, il est infalsifiable, c’est le principe de la blockchain. Le mineur qui valide reçoit, en échange, des bitcoins dont le nombre est divisé par deux (on parle de « halving ») tous les 220 000 blocs, soit environ tous les quatre ans. À l’origine les mineurs empochaient 50 bitcoins, pour 3,125 aujourd’hui. Le premier bloc a été créé le 3 janvier 2009 et la première transaction commerciale, l’achat de deux pizzas pour 10 000 bitcoins, un peu plus tard, le 22 mai 2010. Les accros aux cryptos se remémorent chaque année cette dernière date en fêtant le Pizza Day…
Coïncidence ? Le Livre blanc sur le bitcoin a paru juste après la faillite de Lehman Brothers et le krach financier de 2008 provoqué par la crise des subprimes. Pour préserver la valeur de sa nouvelle monnaie Satoshi Nakamoto a révisé son protocole début 2009 en ajoutant une clause décisive : il ne sera pas créé plus de 21 millions de bitcoins ! Histoire d’asseoir la rareté de la nouvelle monnaie rendue ainsi plus désirable.
Original sûrement, mais qui allait gober cette invention ? « Le plus magique avec le bitcoin, explique Odile Lakomski-Laguerre, ce n’est pas la technologie qu’il y a derrière. C’est simplement le fait que quand ça a été lancé des gens ont cru que ça pouvait avoir une valeur. » Cela a certes pris un peu de temps mais le bitcoin s’est glissé peu à peu à côté des monnaies traditionnelles. Non sans de sérieuses secousses.
La toute première en 2014 est la faillite de Mt Gox, une plateforme d’échanges de bitcoins (on troquait des bitcoins contre du dollar, de l’euro, du yen…) créée au Japon par un Français. La plateforme comportait de sérieuses failles et ses liens avec Silk Road, un site clandestin du darknet qui trafiquait de la drogue et des armes, n’ont rien arrangé. Le FBI a dû s’en mêler. Mt Gox a été victime d’un piratage massif portant sur 850 000 bitcoins.
D’autres hacks suivront (Ronin, PolyNetwork, Binance, Coincheck, Bitmark…), d’autres faillites aussi, la plus récente et la plus retentissante étant celle de FTX il y a deux ans à côté d’autres comme celles de Celsius Network ou de Terraform Labs, dont la monnaie Terra/Luna fondée sur un algorithme défaillant s’est littéralement effondrée.
Les ETF légitiment le bitcoin
Voilà qui n’a pas amélioré la réputation un brin sulfureuse de l’univers crypto, déjà écorné par l’usage qu’on lui prête dans le blanchiment d’argent, même si sur ce point, les accusations sont exagérées, car le dollar peut tout aussi bien faire l’affaire. En fait, la seule fraude caractérisée où l’usage de cryptos est devenue courante, c’est lorsque des hackers s’emparent de données et se livrent à du chantage pour les débloquer (on parle de ransomware). Certaines cryptos d’ailleurs comme Cardano, Zcash ou DASH sont totalement anonymes, ce qui n’est pas tout à fait le cas des autres, dont le bitcoin.
Malgré toutes ces vicissitudes, peu à peu le bitcoin a fini par sortir de la clandestinité. « Je situe ça en décembre 2017. À l’époque, il avait atteint un premier pic à 20 000 dollars, ce qui l’a fait pour la première fois connaître du grand public », dit Claire Balva, directrice de la stratégie auprès de la fintech Deblock. La suite ne sera qu’une succession de montagnes russes attirant pourtant un nombre de plus en plus grand de joueurs. Aujourd’hui, 562 millions de personnes posséderaient des cryptos dans le monde, dont un bon tiers en bitcoins. « Dans une société très digitalisée, très dématérialisée, il n’est pas absurde d’avoir des actifs numériques », explique Thibaut Boutrou, dirigeant chez Meria, société de conseil en investissement crypto.
Dire qu’il y a quinze ans il n’était que quelques geeks paumés à s’intéresser aux monnaies électroniques et que le bitcoin ne valait pas lourd. Peu après la naissance du bitcoin, en octobre 2009, sa valeur avait été estimée à 0,0001 dollar, chiffre auquel on était parvenu en se fondant sur les dépenses d’électricité nécessaires au minage. Un peu plus tard, le 9 février 2011, il s’affichait à un dollar, tout rond. Et après ? Après des hauts et pas mal de bas, il entame une remontée pour parvenir, en novembre 2021, à un record à 69 000 dollars avant de tomber dans un hiver crypto où le cours repasse sous les 20 000 dollars.
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La reprise s’est amorcée l’an dernier, renforcée en janvier cette année par la décision de la SEC américaine d’autoriser les ETF bitcoin au comptant, titre boursier indexé sur la valeur de la monnaie électronique. « Les ETF ont accéléré la légitimation du bitcoin », souligne Thibaut Boutrou. En fin d’année, les cours explosent et un nouveau pic est atteint à 103 000 dollars le 4 décembre. Parcours spectaculaire pour une monnaie qui n’existait pas il y a quinze ans. Et que le grand Warren Buffet, investisseur avisé, qualifiait, en 2018, de « mort-au-rat ». Ce qui est intrigant, c’est qu’il n’a pas changé d’avis…
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