la France doit protéger ses minéraux ! »

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Si un automobiliste devait choisir entre le tableau de bord et la batterie de son véhicule, il serait bien en peine. Il en serait de même pour l’industriel en amont de la chaîne de valeur… Il aurait besoin à la fois du talc (un minéral) pour fabriquer le tableau de bord, et du lithium (un métal) pour construire la batterie.

L’Europe s’intéresse à cette question depuis 2008 : la Commission met à jour tous les trois ans une liste des matières premières critiques pour l’économie européenne. Des experts travaillent pour définir une liste de critères et de substances au travers de ce règlement sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act ou CRMA). Trois grandes catégories ont été établies : les matières premières essentielles (sans risque de rupture d’approvisionnement), les critiques (avec un risque de rupture d’approvisionnement) et les stratégiques (destinées à alimenter les énergies renouvelables, le numérique, l’espace et la défense). La nouvelle loi européenne a identifié 34 matières premières stratégiques, dont 17 sont répertoriées comme critiques.

À cela s’ajoutent quatre objectifs à l’horizon 2030 : les pays de l’UE devraient avoir la capacité d’extraire 10 %, de transformer 40 % et de recycler 25 % de la consommation annuelle de matières premières stratégiques et ne pas dépendre, pour chaque matière première stratégique, de plus de 65 % d’un pays tiers. Il s’agit surtout de diversifier les sources d’importation, et améliorer la capacité de l’UE à surveiller et atténuer les risques de perturbations de l’approvisionnement en matières premières critiques, ainsi qu’à améliorer la circularité et la durabilité. En bref, renforcer notre diplomatie métallique et réouvrir des mines.

Quid des minéraux pour l’industrie ?

Le CRMA, évoqué précédemment, vise essentiellement les métaux. Or les ressources minérales comprennent trois autres catégories : les ressources énergétiques, les matériaux de construction et les minéraux pour l’industrie. Cette dernière catégorie, inconnue du public, intéresse pourtant également toutes les filières industrielles pour ses qualités physico-chimiques à l’instar des minerais.

Pour reprendre l’exemple du talc, il est indispensable à de nombreux usages, aussi bien dans le secteur automobile que pharmaceutique. Pourtant, cette importance cruciale dans l’économie nationale passe sous les radars ; même si ces substances sont à la base de multiples chaînes de valeurs et constituent également un pilier fondamental dans les territoires en termes d’emplois. Par exemple, l’industrie verrière, dépendante à 100 % des minéraux (silice, borate, chaux, carbonate phonolite…), représente 4 milliards de chiffre d’affaires et 20 000 emplois.

Les roches et minéraux industriels répondent aussi aux besoins des opérateurs d’importance vitale (OIV) et garantissent le fonctionnement des services publics : la potabilisation des eaux, l’assainissement des eaux usées urbaines et industrielles, l’hygiénisation des boues, nécessitent de la chaux calcique, de la silice, du carbonate de calcium.

Les principaux secteurs de l’industrie manufacturière dépendent donc des fournitures en ces minéraux. Pour reprendre l’exemple de l’industrie automobile, qui pèse 3,9 % dans l’ensemble de l’industrie française, les minéraux industriels sont présents dans quasiment toutes les pièces : pas de garnitures de freins et d’embrayage sans graphite, pas de plaquettes de frein et disques d’embrayage sans barytine ; pour le tableau de bord, il faut du talc, pour les peintures de la muscovite, pour les plastiques et caoutchoucs de la calcite, pour le tapis de sol de la barytine, pour les pneus du soufre, pour les lubrifiants du graphite et du talc, de la silice pour les vitres et pour les routes enfin du sel (salage)…

Incontournables pour des secteurs aussi variés que l’agriculture, la métallurgie, la sidérurgie, la chimie, la défense, l’aéronautique, etc. La plupart de ces ressources (180 carrières et une centaine d’usines) ont été classées en « gisement d’intérêt national » : un joli qualificatif mais sans aucune portée juridique. Ils ne sont pas intégrés dans une politique publique forte à l’instar du CRMA ou des textes sur les énergies renouvelables, même si sans minéraux pour l’industrie, il n’y a pas de transition énergétique possible.

Or, pouvoir extraire devient de plus en plus difficile, non par la rareté de la ressource du sous-sol, mais par la « difficulté de l’accès à la ressource ». Par exemple, en 2013, la France comptait 68 carrières de sables siliceux et en 2023, il en reste 34. C’est que nous appelons avec le ministère de la Transition écologique, la criticité territoriale.

Le CRMA va-t-il dans le sens de la réindustrialisation ?

Magré la prise de conscience récente du gouvernement français sur la richesse et l’importance du sous-sol qui permet de sécuriser l’approvisionnement des filières industrielles avales en facilitant la valorisation des gisements, aucune action politique n’est menée. Ce serait pourtant une orientation salutaire qui contribuerait à la poursuite du redressement des déficits de la balance courante (- 54 milliards d’euros en 2022 et – 34 milliards d’euros en 2023) et pourrait pérenniser les emplois et en créer.

Le Critical Raw Material Act, comme on l’a vu, encourage un peu la production intra-européenne des métaux, mais il n’invite pas à se pencher sur l’accessibilité interne des matières jugées essentielles mais non critiques, car ne dépendant pas de l’extérieur. Il faut d’urgence réfléchir à une protection réglementaire de ces gisements d’intérêt gational (GIN) pour la France, face à une menace interne de rupture d’approvisionnement : une étude actuelle montre que la criticité des minéraux pour l’industrie provient d’outils de protection dont la portée juridique empêche d’extraire.À LIRE AUSSI « La guerre des métaux a déjà commencé »

C’est ainsi que la stratification des contraintes environnementales, agricoles et d’urbanisme obère de plus en plus la possibilité d’accéder à la géologie très spécifique des minéraux industriels. À un horizon de 15 ans, pratiquement la moitié des autorisations actuelles arriveront à échéance, sans renouvellement si rien n’existe pour sécuriser ces gisements, la France subira une rupture d’approvisionnement et les minéraux viendront de Chine, de Turquie, d’Égypte… puis les usines se délocaliseront pour se rapprocher de la matière première.

Pour sécuriser l’ensemble des ressources françaises, il faut protéger les GIN et ouvrir le dialogue avec toutes les parties prenantes. Il est urgent d’agir afin que les carrières de minéraux industriels ne soient plus un impensé de l’aménagement du territoire et du développement local.


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