le livre qui bat en brèche les théories de Thomas Piketty

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Dans les débats politiques, une supposée croissance des inégalités est régulièrement présentée comme un signe du dysfonctionnement de notre société. Selon l’économiste Thomas Piketty, grande référence des contestataires, ces inégalités résulteraient du libéralisme, qui appauvrit la masse de la population au profit des classes aisées.

Mais pour l’économiste Daniel Waldenström, chercheur à l’Institut de recherche en économie industrielle de Stockholm – où il dirige le programme de recherche « fiscalité et société » –, nous vivrions au contraire dans une société où toutes les classes sociales se sont considérablement enrichies depuis un siècle, et où les inégalités ont globalement… diminué.

Son dernier ouvrage, Richer and More Equal (« Plus riches et plus égaux », Polity, 2024, non traduit), s’appuyant sur des recherches et données nouvelles, explore les véritables causes des distorsions de richesses, et les pistes de progrès.

Un siècle d’égalisation

Dans le scénario historique que Piketty a élaboré, une grande inégalité des richesses se serait développée au XIXe siècle en raison d’une fiscalité faible et d’une réglementation minimale du marché. Mais au XXsiècle, la destruction du capital physique lors des deux guerres mondiales a réduit les grandes fortunes.

Puis de fortes impositions progressives, ainsi que des réglementations, telles que le contrôle des prix et les restrictions du marché des capitaux, ont empêché ces grandes fortunes de se reconstituer.

Malheureusement, depuis les années 1980, une vague de politiques libérales a inversé cette tendance égalisatrice, favorisant la valeur du capital au détriment de celle du travail et ramenant l’inégalité des richesses vers des sommets historiques.

Or, pour Daniel Waldenström, ce scénario est démenti par les nouvelles études historiques. D’abord, selon lui, les richesses accumulées à la fin du XIXe siècle ne sont pas aussi importantes que Piketty les avait estimées. Puis, le XXe siècle est marqué non seulement par un fort enrichissement de l’ensemble de la population, mais aussi par une importante diminution des inégalités, qui se stabilisent globalement à partir des années 1980.

Enfin, même si les dévastations des guerres et les régimes fiscaux progressifs qui ont suivi ont contribué à la réduction des inégalités au XXe siècle, la principale raison de cette égalisation se trouve du côté d’une plus grande accession à la propriété et du développement de l’épargne retraite.

Le poids de l’épargne retraite

Ce mouvement d’acquisition immobilière a été rendu possible par des réformes de l’éducation et par les progrès technologiques qui ont permis aux travailleurs de devenir plus productifs, d’être mieux payés et d’obtenir des prêts pour acheter leur propre logement.

Ce processus d’acquisition a également été facilité par un système financier qui a évolué en offrant de meilleurs services à ces nouveaux clients, notamment des prêts moins chers. Quant à l’épargne retraite, elle s’est développée avec l’amélioration du niveau de vie et l’augmentation de l’espérance de vie, de sorte que les travailleurs ont commencé, directement ou indirectement, à épargner pour leur fin de vie, accumulant ainsi un autre actif important.

Les systèmes de retraite ont suivi et accompagné ce mouvement, soit sous la forme de systèmes publics sans capitalisation, basés sur des promesses de revenus futurs, soit sous la forme de systèmes privés par capitalisation.

Alors que, au début du XXe siècle, posséder un logement et épargner pour la retraite étaient un luxe dont seuls quelques privilégiés pouvaient profiter, aujourd’hui ce rêve autrefois insaisissable de l’accession à la propriété et de la retraite est devenu une réalité pour une grande partie des populations d’Europe et des États-Unis.

Dynamique d’égalisation

Il faut toutefois noter que la tendance à l’égalisation est moins prononcée aux États-Unis qu’en Europe. Mais même le niveau actuel d’inégalité des richesses dans ce pays est inférieur à ce qu’il était avant la Seconde Guerre mondiale et reste bien en deçà des niveaux importants de concentration des richesses que les Européens ont connus il y a plus d’un siècle.

Une autre nuance concerne la dynamique d’égalisation. Daniel Waldenström fait remarquer qu’à aucun moment du XXe siècle, la richesse des plus fortunés n’a vraiment diminué en moyenne. La baisse de la concentration de la richesse entre 1910 et 1980 provient simplement de son accumulation plus rapide dans les classes moyennes que dans les classes supérieures. Mais il constate qu’après 1980, le processus d’égalisation s’est globalement arrêté dans les pays européens, et qu’il s’est même légèrement inversé aux États-Unis.

Il n’en demeure pas moins que, de nos jours, les populations d’Europe et des États-Unis sont plus riches que jamais auparavant. Leur patrimoine a été multiplié par plus de trois depuis 1980, et par près de dix au cours du siècle dernier.

Création de valeur

Étant donné qu’une grande partie de sa croissance s’est produite dans les types d’actifs que les gens ordinaires détiennent – les maisons et l’épargne retraite –, la richesse s’est globalement plus équitablement répartie au fil du temps.
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Les trois quarts du patrimoine privé sont ainsi constitués de logements, d’épargne retraite et d’assurance à long terme. Le capitalisme n’a donc pas augmenté les inégalités, même après les libéralisations des années 1980 et le développement des multinationales à l’ère de la mondialisation.

Daniel Waldenström ajoute même que la libéralisation du marché au cours des années 1980, et donc la suppression des réglementations et des impôts historiquement élevés, a entraîné le rythme de création de valeur le plus élevé que le monde occidental ait jamais connu.

Un risque d’instabilité

La leçon qu’il en tire est que la prospérité des entreprises, qui se traduit par de nouveaux emplois, des revenus plus élevés et davantage de recettes fiscales pour le secteur public, est un facteur d’égalisation dans la société, notamment à travers l’accession à la propriété et l’épargne retraite de leurs employés.

Il donne alors raison à John F. Kennedy qui, à propos du lien entre croissance économique et inégalités, avait dit de manière imagée que « la marée montante soulève tous les bateaux ». Daniel Waldenström reconnaît que ce processus d’égalisation des richesses n’est pas parfait. Il existe encore d’importantes disparités de richesses au sein des pays et entre eux.

Puis il déplore que la concentration de la richesse se soit même remise à augmenter dans certains pays, en particulier aux États-Unis. Daniel Waldenström y voit un risque d’instabilité. Il lui paraît donc important de réfléchir aux meilleurs moyens de prolonger cette dynamique d’égalisation.

Mais, selon lui, cette réflexion passe par une bonne compréhension de la façon dont elle s’est enclenchée dans le passé. Il met donc en garde contre les interprétations d’économistes comme Piketty qui, si on les suivait, ne conduiraient pas vers un monde plus prospère.

« Richer and More Equal : A New History of Wealth in the West » de Daniel Waldenström (Polity, non traduit), juin 2024, 235 pages.


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