Sur le spectre politique, le Rassemblement national (RN) et le Nouveau Front populaire (NFP) sont diamétralement opposés. Mais en lisant les propositions économiques de ces deux blocs, difficile de ne pas voir les ressemblances. Comme l’écrit dans une récente note Sylvain Bersinger, chef économiste au cabinet de conseil Asterès, « les deux formations politiques développent une vision de l’économie assez similaire dans sa conception d’ensemble. Toutes deux défendent l’idée d’une économie française repliée sur elle-même, sur une stimulation par la dépense publique et par un bouclage budgétaire illusoire et reflétant leurs obsessions respectives ». L’application du programme de 2022 de Marine Le Pen creuserait de près de 100 milliards d’euros le déficit, selon le chiffrage de l’Institut Montaigne. Le programme du NFP est chiffré à 125 milliards entre 2024 et 2025. Certes, le macronisme n’a pas été un modèle en matière de dépenses publiques… En sept ans, l’endettement a gonflé de 1 000 milliards d’euros, la note de la France a été dégradée fin mai par Standard & Poor’s, et Bruxelles vient de placer le pays en procédure de déficit excessif. Mais le problème ne vient pas seulement des dépenses : les programmes du RN et du NFP se caractérisent surtout par une accumulation de solutions… « de bon sens ». Mais en apparence seulement. Des soucis de pouvoir d’achat ? Alors, bloquons les prix. Un besoin de recettes immédiates ? Luttons contre la fraude, ou faisons payer les riches. Derrière nombre de ces mesures se cachent de fausses bonnes idées, qui peuvent se révéler inefficaces, ou pire, délétères. Passage en revue des plus grosses bêtises.
Du côté des dépenses
Augmenter le smic versus exonération de charges
L’alliance de gauche propose de relever le smic à 1 600 euros, soit une hausse de 14 %. Cette augmentation significative du coût du travail pourrait entraîner « des destructions d’emplois, ou du moins rendre les patrons réticents à embaucher. Ce serait environ 350 000 emplois qui seraient menacés, ou qui ne verraient pas le jour », observe Bertrand Martinot, économiste, spécialiste de l’emploi et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.
Le Rassemblement national prévoit, quant à lui, une exonération de charges patronales pendant cinq ans en échange d’une augmentation des salaires de 10 %, et cela jusqu’à trois fois le smic. Une réforme au coût élevé d’autant que de nombreuses TPE-PME n’ont ni la trésorerie ni les marges suffisantes pour appliquer une telle hausse. Comme l’exprime Stéphane Carcillo, professeur d’économie à Sciences Po Paris : « Cette année, les négociations salariales pointent vers une augmentation de 4 à 5 %, ce qui est déjà bien. Il n’est donc pas certain que toutes les TPE-PME augmentent les salariés de 10 %, même avec l’exonération des charges. »
Blocage des prix versus baisse de la TVA
Le Nouveau Front populaire veut bloquer les prix des biens de première nécessité, dans l’alimentation, l’énergie et les carburants. Cette mesure a des effets pervers : elle peut créer des pénuries ou des hausses de prix sur d’autres produits. Si le prix de vente n’est pas assez élevé pour compenser le coût, les entreprises peuvent en effet choisir de cesser de fabriquer le produit en question. Ou d’augmenter les prix des autres produits qu’elles fabriquent. Le blocage des prix peut également coûter cher au contribuable si le gouvernement compense la différence, comme l’a montré le bouclier tarifaire sur l’électricité.
La baisse de la TVA sur les produits énergétiques et de première nécessité, prônée par le RN, est aussi une fausse bonne idée : cette mesure coûte cher pour des résultats contestables. La baisse n’est pas toujours répercutée sur les prix et, si elle l’est, cela profite d’abord aux personnes aisées, qui consomment plus. « Il vaut mieux utiliser l’argent public pour mettre en place des mesures ciblées pour ceux qui en ont besoin, estime Olivier Redoulès, directeur des études chez Rexecode. De plus, bloquer les prix ou baisser la TVA sur les produits énergétiques comme le carburant va à rebours de l’objectif climatique », ajoute-t-il.
À bas la mondialisation, vive le protectionnisme
Pour les deux formations, la mondialisation est le diable dont il faut se protéger. « Elles défendent l’idée erronée que l’économie française serait plus prospère si elle se protégeait de la concurrence internationale par des barrières douanières », remarque le cabinet Asterès. Les deux blocs affichent des positions contre le libre-échange. Le NFP plaide pour l’annulation du traité entre l’UE et le Canada (Ceta). De son côté, le RN veut un moratoire sur la négociation de nouveaux accords de libre-échange par l’UE. Et que dire de « la taxe kilométrique sur les produits importés » ? Elle ne tient pas la route en pratique. « D’abord, ce n’est pas conforme au droit européen et aux règles de l’OMC, prévient l’économiste Patrick Artus. Ensuite, si l’on taxe les produits importés, nos exportations seront taxées en retour, ce qui entraînera un déclin de notre compétitivité à l’export. Enfin, c’est une mesure extrêmement inflationniste. »
Du côté des recettes
L’abolition des « privilèges des milliardaires » pour le NFP
Dans le programme du Nouveau Front populaire, la tête de chapitre dédiée à la fiscalité s’intitule « Abolir les privilèges des milliardaires ». Mais les 68 milliardaires que compte la France sont loin d’être les seuls visés par cet incroyable matraquage. Voilà le programme : faire passer l’impôt sur le revenu de quatre à quatorze tranches (aujourd’hui seuls 45 % des foyers s’en acquittent), rétablir l’ISF, mais avec un « volet climatique », supprimer la flat tax sur les revenus des capitaux, réinstaurer une exit tax pour tenter de dissuader l’exil fiscal, supprimer des niches « inefficaces, injustes et polluantes », etc. La mise en pratique de ce projet reviendrait en réalité à asphyxier l’économie de la France, où la pression fiscale est déjà la plus forte de tous les pays de l’OCDE, à 46 % de la richesse nationale. Selon les calculs de Patrick Artus, un tel programme pourrait faire bondir la pression fiscale d’environ 6 points, à 52 % de la richesse nationale. Du jamais-vu dans les pays comparables.
La fraude, le faux pactole sur lequel fantasme le RN
Pour convaincre de son sérieux budgétaire, le Rassemblement national convoque une vieille rengaine : « Il y a beaucoup de pistes d’économies à faire dans la dépense publique. La fraude en est une. » Jordan Bardella a évoqué le chiffre de 15 milliards d’euros par an. « C’est complètement fantaisiste ! » réagit François Ecalle, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques. En 2023, l’État a récupéré 10,6 milliards d’euros de rattrapages et de pénalités fiscales – un chiffre qui n’a pas varié en trois ans. La lutte contre la fraude sociale a, elle, rapporté 2 milliards – 1 milliard pour les prestations frauduleuses et autant pour la fraude aux cotisations. Soit moins de 13 milliards d’euros au total. Si des marges de progression existent, l’objectif de 15 milliards reste hors de portée, estiment les spécialistes.
Combien ça coûte ?
En matière de chiffrage, le RN et le NFP n’ont pas opté pour la même stratégie. Au NFP, on annonce la couleur : le coût du programme économique a été évalué à 125 milliards d’euros pour 2024 et 2025 : 25 milliards cette année, 100 milliards l’an prochain. Du côté du RN, on a préféré le grand flou. Le programme n’a globalement pas été chiffré, à une seule exception près, qui est le coût de la baisse de la TVA sur les prix de l’énergie (7 milliards d’euros).