Dans une chronique du Point publiée le 20 mai, Julien Damon propose de taxer les héritiers plutôt que l’héritage au soutien de la thèse selon laquelle il est économiquement plus avantageux d’hériter que de travailler, oubliant que les Français sont majoritairement contre l’impôt sur la mort.
En proposant de viser les héritiers sans parler d’héritage, un pari est fait qu’un lien va naître avec le mot rentier. C’est connu, personne n’aime les rentiers. Ainsi, la majorité embrassera l’idée d’une taxation plus importante sur les successions. Ce raisonnement, bien que séduisant, se fracasse contre la réalité des faits.
Un grand transfert de richesses
Pour des raisons démographiques, le monde occidental va connaître ces prochaines années un grand transfert de richesses. Une situation inédite qui impose des défis immenses. Aux États-Unis, il est estimé que, d’ici à 2045, un transfert de richesses de près de 84 000 milliards de dollars [77 milliards d’euros, NDLR] sera réalisé.
Il est dit que le capital se concentrerait entre certaines familles et serait source d’inégalités qu’il faudrait combattre. Ne nous trompons pas, la taxation du patrimoine en France est bien plus élevée que dans la majorité des autres pays de l’OCDE.
Il y a une taxation au moment de l’acquisition d’un patrimoine, une autre pendant la détention et une encore à sa sortie. L’impôt sur la mort est celui de trop dans l’esprit des Français et, même si leur réaction est plus instinctive que technique, ils ont raison.
Selon le lien de parenté entre le défunt et l’héritier
La comparaison des systèmes fiscaux n’est pas toujours aisée. C’est une lapalissade que de dire que, pour calculer un impôt, il faut une base à laquelle on multiplie un taux ; il faut également prendre en compte les abattements, les réductions, les franchises et les exceptions.
En France, les droits de succession varient selon le lien de parenté entre le défunt et l’héritier. Le taux peut atteindre 45 % entre parent et enfant à partir de 1,8 million d’euros. À titre de comparaison, le taux est de 4 % en Italie après un abattement de 1 million d’euros et il faut un patrimoine de 26 millions d’euros en Allemagne pour atteindre une tranche à 30 %. Les successions représentent 0,7 % du PIB en France, contre seulement 0,2 % pour la moyenne européenne.
À LIRE AUSSI Fiscalité de l’héritage : la foire d’empoigneEn Australie, l’impôt sur les successions a été aboli en 1979 ; au Canada, en 1972 ; en Suède, en 2004 : malgré l’absence de cet impôt, le pays jouit d’un des plus faibles niveaux d’inégalité sociale au monde. Il n’existe pas de droits de succession au Portugal, en Autriche, en Norvège, au Luxembourg…
Force est de constater que ces pays ne sont pas plus inégaux que la France. Ainsi, Julien Damon a tort de voir un lien entre des droits de succession élevés et un faible taux d’inégalité sociale.
Quinze niches fiscales pour 53 milliards d’euros
Pour réduire les inégalités, il convient de s’assurer d’une instruction de haut niveau, de permettre l’accession à un logement décent, d’offrir l’accès universel aux soins… Il est ridicule de propager l’idée qu’il suffit de plonger la main dans les poches pleines pour remplir les poches vides.
L’article de Julien Damon dénonce aussi l’existence de niches fiscales réservées aux riches. Au-delà de l’aspect stigmatisant – la seule discrimination acceptable serait donc celle qui vise les riches ? –, rappelons que, si la France compte 465 niches fiscales, dont le coût atteint 92 milliards d’euros, la majorité de ces niches concerne l’impôt sur le revenu, la TVA et l’impôt sur les sociétés.
Et que, si les 15 premières niches représentent, à elles seules, 53 milliards d’euros, aucune ne concerne l’héritage. En outre, l’article utilise une représentation – les riches ont accès à « une fiscalité à part », « les moyens de se payer des conseils » qui jouent avec les règles… – qui ne résiste pas à l’épreuve des faits.
Winston Churchill observait que « le vice inhérent au capitalisme est le partage inéquitable de la richesse ». Nous pensons que nous devons y remédier. Une réforme fiscale doit viser l’efficacité maximum, sans imposer de pesanteurs inutiles. Surtout, elle doit être perçue comme équitable par tous les citoyens, y compris par les plus aisés.
Pour les parents, laisser un héritage à leurs enfants consiste à arbitrer entre consommation personnelle et transmission familiale. Cette liberté doit être défendue.
* Jérôme Bernecoli est notaire chez Choné & Associés ; Frédéric Poilpré est directeur général délégué chez Officium Asset Management. Tous deux sont membres du Cercle des fiscalistes.