Quand il y a un flou, il y a un loup, dit le proverbe. Flou, Michel Barnier l’a été au JT de France 2, dimanche 22 septembre. Le Premier ministre a annoncé qu’il envisageait « quelques prélèvements ciblés, sur les personnes les plus fortunées, sur certaines grandes entreprises ». Mais lorsque le présentateur du 20 Heures, Laurent Delahousse, lui demande si l’impôt sur les sociétés en général ne serait, donc, pas augmenté, le chef du gouvernement est resté vague : « Je ne dis pas cela mais je pense que certaines très grandes sociétés, multinationales, qui marchent bien, peuvent aussi contribuer à l’effort national de redressement. »
Déjà, depuis plusieurs semaines, circulent dans les médias les hypothèses, entre autres, d’une hausse de l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IS) ou d’une augmentation du prélèvement forfaitaire unique (PFU), dit « flat tax ». Elles seraient synonymes d’un accroissement des charges pour les entreprises, en particulier celles de tailles petites, moyennes et intermédiaires (jusqu’à 4 999 salariés). « Comment voulez-vous que l’on puisse avancer et réfléchir ? s’agace Bénédicte Caron, vice-présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). On est en train de dire aux chefs d’entreprise que tout ce avec quoi ils ont dessiné une trajectoire est remis en question. Dans de telles conditions, un chef d’entreprise n’investit plus. »
À LIRE AUSSI Le gouvernement Barnier en sursis : les 5 dates de tous les dangersFrédéric Coirier confirme le climat d’inquiétude qui règne dans le milieu patronal : « Je discute avec beaucoup de chefs d’entreprise, ils sont tous dans l’expectative. » Le coprésident du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire, le Meti, rappelle les investissements très importants réalisés ces dernières années : « Le montant total d’investissements réalisés par des entreprises de taille intermédiaire en 2022-2023 est 40 % supérieur à celui de 2019. On n’avait jamais vu ça ! Les chefs d’entreprise ont pris le train des réformes de la fiscalité du capital. »
Fin de la politique de réalignement compétitif ?
Depuis une dizaine d’années, les différents gouvernements sous les mandats de François Hollande puis d’Emmanuel Macron ont mené une politique de réalignement compétitif. Par exemple, la taxation des revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu a été remplacée par le PFU, dont le taux est fixé à 30 %, quel que soit le montant déclaré. L’IS a, lui, vu son taux baisser de 33 à 25 %. « Tous ces nouveaux paramètres ont été pris en ces éléments-là dans les business plans, poursuit Frédéric Coirier. Vous revenez dessus, vous fragilisez les entreprises. »
À LIRE AUSSI Qu’est-ce qu’un impôt juste ? « Que la France ne soit pas capable de poursuivre le réalignement compétitif au même rythme, on peut le comprendre, dit encore le coprésident du Meti. Mais revenir sur les règles du jeu en cours de route serait désastreux et dégraderait davantage la situation de certains secteurs, déjà fragilisés par la conjoncture, qui commençaient à remonter la pente. » L’inflation, les difficultés d’approvisionnement post-Covid et la concurrence des produits chinois et américains ont été autant de boulets pour les économies européennes, la française en particulier. La baisse récente des taux d’inflation aurait dû signer une embellie. Mais le manque de clarté politique oblige à mettre en attente certains investissements, parfois prévus de longue date.
« Nos lignes courantes d’investissement représentent chaque année deux millions d’euros, explique Frédéric Coirier, dont le groupe emploie 1 400 personnes en France. Depuis la dissolution, nous avons resserré le montant pour l’exercice en cours de 25 à 30 %. » « Si la politique de l’offre était profondément remise en cause, nous ne fermerions pas nos usines en France, explique Olivier Schiller, PDG du groupe Septodont, spécialisé dans la dentisterie et qui produit en France, au Canada, au Brésil, en Inde et, bientôt, en Espagne. Mais si l’écart de compétitivité ne se réduisait pas, les prochains projets de développement se feraient en dehors de l’Hexagone. » Avec le risque de retarder davantage encore la réindustrialisation de la France.
À LIRE AUSSI Hausse des impôts : le gouverneur de la Banque de France suggère un « effort temporaire » « Aujourd’hui, analyse Bénédicte Caron, l’État essaye de rogner sur de petites aides qui représentent quelques centaines de millions par ci, quelques centaines par là. Il vaudrait mieux mener de vraies réformes structurelles. » La vice-présidente de la CPME pointe le dérapage du déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale, largement dû à l’augmentation du nombre d’arrêts de travail et à l’allongement de leur durée. « Notre système de sécurité sociale est mis à mal et risque d’exploser faute de prise de conscience de chacun qu’il ne faut pas en abuser. Quand vous voyez les abus qu’il y a chez tant de monde… Il faut un grand coup de pied dans la fourmilière ! Mais il n’y a pas de gouvernement suffisamment courageux pour mettre les Français face à leur responsabilité. »