pour quelles raisons un agent peut-il être remercié ?

Date:


Comment licencier un fonctionnaire ? Cette question ô combien source de tensions en France occupera probablement les concertations avec les partenaires sociaux qui ont débuté mardi 9 avril autour du projet de réforme de la fonction publique.

Or, mardi, dans une interview au Parisien, le ministre de la Fonction publique Stanislas Guerini n’a pas mâché ses mots : « Je veux qu’on lève le tabou du licenciement dans la fonction publique. »

Comme le révèle Le Parisien dans le document de cadrage des discussions entre syndicats et employeurs de la fonction publique, le gouvernement prévoit un temps d’échange autour de cette question sensible. « Les employeurs et managers sont-ils suffisamment outillés pour prendre en compte l’insuffisance professionnelle dans le déroulé de la carrière, directement appréciée sur le fondement de l’évaluation professionnelle ? Quelle possibilité d’une réponse graduée ? »

Dans le fond, l’exécutif s’attaque au mythe de l’emploi à vie dans la fonction publique. Mais, en vertu du cadre législatif actuel, dans quelles conditions un agent de la fonction publique peut-il être licencié ? Éclairage avec Clément Chauvet, professeur en droit public à l’université d’Angers (Maine-et-Loire).

Quels sont les principaux motifs ?

Si le droit des salariés du privé est encadré par le Code du travail, le Code général de la fonction publique (CGFP) réunit l’ensemble des droits et devoirs des travailleurs de la fonction publique. « Si l’on s’en tient simplement au cadre législatif, un fonctionnaire, comme un salarié du privé, peut être licencié pour faute disciplinaire, pour insuffisance professionnelle, pour inaptitude physique à son emploi, entre autres », énumère Clément Chauvet.

Comme le prévoit l’article L553-1 du CGFP, un fonctionnaire peut aussi être licencié en cas d’abandon de poste ou s’il refuse plus de trois postes en vue d’une réintégration au terme d’une période dite de « disponibilité ». « La principale différence, et non des moindres, entre un fonctionnaire et un salarié du privé est qu’il n’existe pas dans les textes actuels de licenciement économique », explique le juriste.

D’après les chiffres de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), en 2022, 222 agents – 192 hommes et 30 femmes – de la fonction publique d’État ont été licenciés pour des motifs disciplinaires. « Le licenciement pour motif disciplinaire n’est pas défini par les textes. Il s’agit d’un comportement qui s’écarte volontairement de ce que l’on attend d’un fonctionnaire », définit Clément Chauvet.

À LIRE AUSSI Pour un « big bang » de la rémunération des fonctionnairesComme on peut le lire sur le site du ministère, « il y a faute disciplinaire à chaque fois que le comportement d’un agent entrave le bon fonctionnement du service ou porte atteinte à la considération du service dans le public ». Une faute disciplinaire peut être commise en dehors du cadre professionnel, avec des sanctions prévues en cas de comportement incompatible avec l’exercice de ses fonctions ou d’un comportement portant atteinte à la dignité de la fonction publique. Une faute disciplinaire peut également faire l’objet de poursuites pénales, comme dans le cas d’infractions sexuelles.

Il existe également quelques différences selon les fonctions publiques. Les agents de la fonction territoriale peuvent, par exemple, être licenciés en cas de refus d’une modification de la durée de travail d’un emploi à temps non complet ou d’une inaptitude physique définitive d’un fonctionnaire à temps non complet. Les agents de la fonction publique hospitalière peuvent aussi être licenciés pour ce dernier motif.

Qu’est-ce qu’une « insuffisance professionnelle » ?

C’est ce sur quoi le gouvernement veut mettre l’accent. « Une insuffisance professionnelle va concerner un fonctionnaire titulaire qui n’est pas en mesure de remplir ses fonctions alors qu’il devrait en être capable au regard de son grade. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, ce n’est pas un agent qui refuse de travailler. Il ne sait pas faire. Ce n’est pas une faute relevant du droit disciplinaire », explique Clément Chauvet. En 2023, treize agents de la fonction publique d’État ont été licenciés pour insuffisance professionnelle, sur 2,5 millions d’agents.

Selon LeParisien, le gouvernement souhaiterait « donner une assise juridique plus solide pour distinguer des agents, reconnaître l’engagement ou mentionner une insuffisance professionnelle, et établir une échelle de sanctions allant du rappel à l’ordre au licenciement ».

Sur France Inter, mercredi 10 avril, le ministre a soutenu que le statut des fonctionnaires « n’a jamais expliqué qu’on ne pouvait pas licencier quelqu’un qui ne fait pas bien son travail », mais le cadre des licenciements pour insuffisance professionnelle « est très mal défini et surtout extrêmement peu appliqué ». À ce jour, les procédures disciplinaires pour ce motif reposent sur des éléments de jurisprudence et non sur une définition juridique.

« L’insuffisance professionnelle est effectivement très peu utilisée en réalité. De surcroît, pour des raisons sociologiques, il est assez compliqué pour un supérieur hiérarchique de licencier un agent pour insuffisance professionnelle. Donc, souvent, on va essayer de trouver des arrangements, de le muter à un poste où ses carences seront moins gênantes, par exemple », détaille le professeur en droit public.

Qu’est-ce que le « dégagement des cadres » ?

Les déclarations du ministre sur le « tabou du licenciement dans la fonction publique » ont provoqué l’ire des syndicats et de l’opposition. Sur X, le secrétaire général de l’Unsa-Fonction publique, Luc Farré, s’est inquiété du discours gouvernemental : « Parler du licenciement plutôt que des salaires alors que toutes les règles existent, c’est détourner l’attention. Recevoir les syndicats, ne pas évoquer ce sujet, est-ce la bonne façon de concerter ? »

Sur France Inter, le ministre a tenu à rappeler qu’aucun projet « de licenciement économique » n’était dans ses cartons. « Quand on supprime un service administratif, on confie aux agents publics une autre mission. Pour ainsi dire, il n’y a pas de licenciement économique dans la fonction publique, et je ne souhaite pas changer ça. Je pense que c’est statutairement quelque chose de très important, qui distingue le public du privé », a-t-il expliqué.

Comme le rappelle Clément Chauvet, la loi prévoit effectivement de laisser la possibilité d’un « dégagement des cadres » de la fonction publique de l’État, qui permet soit de reclasser des fonctionnaires intéressés, soit de les indemniser en cas de suppression d’emploi. « Un outil rarissime au maniement hautement explosif de nos jours au vu du contexte social », souligne le juriste. Ainsi, comme l’explique la CFDT, croire que l’emploi des fonctionnaires est garanti à vie est un « principe faux et couramment répandu ».


LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Share post:

Subscribe

spot_imgspot_img

Popular

More like this
Related