Pourquoi le smic à 1 600 euros promu par le NFP est une mesure antisociale

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Que faut-il penser de la hausse de 200 euros du salaire minimum interprofessionnel de croissance (smic) en France promue par le Nouveau Front populaire s’il était au gouvernement ? La mesure n’en finit pas de susciter des débats entre économistes et politiques. Si, sur le papier, elle s’avère bien évidemment séduisante car elle vise officiellement à améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs les moins rémunérés, elle est pourtant très problématique sur le fond.

« Comme nous sommes dans un pays à smic élevé par rapport à nos voisins, elle aura des conséquences très défavorables sur l’emploi. Les chefs d’entreprise auront tendance à licencier ou à ne plus embaucher des personnes dont la productivité est faible. En outre, cela va concentrer et encore plus tasser la hiérarchie des salaires autour du smic, ce qui risque de susciter beaucoup de frustrations pour les salariés qui ont obtenu des primes et se voient rattraper par d’autres », estime Gilbert Cette, professeur à Neoma Business School et qui a présidé le comité d’experts du smic (2017-2024). La situation diffère dans les autres pays occidentaux, notamment aux États-Unis, où les salaires sont très bas.

La France a connu deux importantes augmentations du smic par le passé. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing le revalorise d’environ 23 % en plein choc pétrolier. Sept ans plus tard, c’est au tour de François Mitterrand de l’augmenter de 10 % après sa victoire, portant la hausse moyenne à 18 % sur toute l’année 1981. Les deux présidents avaient le même objectif : protéger le pouvoir d’achat des Français les plus modestes, avec l’espoir de stimuler la consommation intérieure. Pour le socialiste, cette hausse doit aussi contribuer à la réduction des inégalités salariales et à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs précaires.

Ont-ils réussi ? « Pour Giscard d’Estaing, on ne peut guère analyser cette séquence faute de données microéconomiques fiables pour l’époque. Concernant François Mitterrand, différents travaux montrent que la combinaison de la hausse du smic et du passage à la semaine de 39 heures a eu des effets négatifs sur l’emploi », souligne l’économiste Francis Kramarz, chercheur au Collège de France. Pour Gilbert Cette, l’idée d’une hausse conséquente du salaire minimum provient d’un « raisonnement qui date des années 1970 et qui contribuerait à smicardiser la France. C’est comme si le Nouveau Front populaire n’avait pas intégré que la priorité du marché du travail est la mobilité. Or, le fait de rester des années au smic est pire que le fait d’être payé au smic ».

1 % de hausse équivaut à 15 000 emplois détruits

En 1995, Alain Juppé avait mis en place des exonérations de cotisations patronales sur le smic et les bas salaires. Une étude publiée en 2000 et rédigée par Francis Kramarz avec Thomas Philippon, aujourd’hui professeur à la New York University, montre qu’une augmentation du salaire minimum de 1 % en France aboutit, un an plus tard, à la destruction d’environ 15 000 emplois. Il est intéressant de noter que l’éditeur de ce travail publié au Journal of Public Economics n’est autre que… Thomas Piketty, économiste qui soutient aujourd’hui le programme économique du NFP.

« La hausse du smic est le pire outil pour lutter contre la pauvreté et les inégalités. Pourquoi ? Car les pauvres ne sont pas pauvres à cause du salaire, mais à cause du peu d’heures qu’ils font. Il s’agit souvent de femmes isolées qui travaillent à temps partiel entre 15 et 20 heures par semaine », poursuit Francis Kramarz. « Elle toucherait de plein fouet les salariés les plus fragiles, les moins qualifiés et les moins formés. Elle contribuerait ainsi non pas à faire baisser mais à augmenter sensiblement la pauvreté », abonde Gilbert Cette.

Faciliter la mobilité plutôt qu’augmenter le smic

En 2014, sous la présidence de François Hollande, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a tenté d’imposer une durée minimale du travail à temps partiel à 24 heures hebdomadaires, contre une quinzaine d’heures auparavant. Une étude de Pauline Carry, professeure assistante à l’université de Princeton, a montré l’effet pervers de cette mesure. Les entreprises concernées qui paient leurs salariés au smic, à savoir les TPE et PME (et non les grandes entreprises), qui sont peu productives et sans beaucoup de marges de manœuvre financières, ont le plus souvent embauché des hommes à temps plein, au lieu de faire travailler plus des femmes à temps partiel. « Cela signifie qu’il est très difficile de trouver des solutions concrètes pour les personnes les plus fragiles, les moins éduquées et avec des enfants à charge et qui ne sont pas les personnes touchant le salaire minimum », note Francis Kramarz.

Après les coups de pouce de ces dernières années, une augmentation du smic à 1 600 euros ferait grimper le nombre d’employés payés au salaire minimum. Le smic concernait déjà 17,3 % des salariés en France en 2023 (hors agriculture et hors Mayotte), après 14,5 % en 2022 et 12 % en 2021. « Ce serait une façon de désespérer Billancourt. Il y aurait beaucoup de personnes au même salaire, de 30 à 40 %, et aucune perspective d’évolution de carrière », ajoute l’économiste.

De l’avis des experts interrogés, la bonne idée consisterait plutôt à développer la formation en continu diplômante pour les salariés les plus fragiles et à travailler sur la mobilité de tous au sein du marché du travail. « Combien de pertes d’emplois et de drames humains faudrait-il au NFP pour se rendre compte qu’une hausse du smic plongerait la France dans la pauvreté ? Il y a plus intelligent à faire, et d’abord faciliter la mobilité au-dessus du niveau du smic », insiste Gilbert Cette.


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