8 questions pour comprendre la crise

Le ballon chinois repéré le 1er février a poussé les Etats-Unis à scruter avec davantage de vigilance les objets volant à faible vitesse dans leur espace aérien. Depuis, quatre aéronefs ont été détruits, dont ce fameux ballon, accusé par Washington de servir à espionner.

Depuis début février, la découverte d’aérostats à haute altitude au-dessus du sol américain a provoqué une crise diplomatique entre les Etats-Unis et la Chine. Plusieurs appareils ont été observés et abattus, mais ils diffèrent en forme et en nature, nourrissant de nombreuses questions et fantasmes.

Combien d’engins volants ont été identifiés ?

Quatre appareils ont été signalés et abattus par les Etats-Unis, depuis la découverte d’un ballon suspect au-dessus du territoire américain. Dans le détail :

  1. Le 4 février, les forces armées américaines abattent un ballon volant au-dessus de la Caroline du sud, après plusieurs jours d’observation.
  2. Le 10 février, des avions de chasse F22 américains détruisent un objet volant « de la taille d’une voiture » près des côtes de l’Alaska, dans l’extrême nord-ouest du continent nord-américain, à environ 12 000 mètres d’altitude.
  3. Le 11 février, sur demande du premier ministre canadien, Justin Trudeau, l’armée de l’air américaine fait feu sur un engin qui survole le Yukon, un territoire sauvage du nord-ouest du Canada, toujours à 12 000 mètres d’altitude.
  4. Dimanche 12 février, un nouvel engin est abattu par un avion de combat américain, cette fois au-dessus de l’Etat du Michigan, à environ 6 000 mètres de haut.

A quoi ressemblent-ils ?

Le premier objet, en forme de ballon, repéré le 1er février, était haut de 60 mètres – l’équivalent de trois autobus. Recouvert de plusieurs panneaux solaires, il portait une nacelle pesant plus d’une tonne. Il est le seul dont l’appartenance à la Chine est admise par les deux pays.

Les trois objets qui ont suivi étaient beaucoup plus petits que le premier et volaient à plus basse altitude. Ils ont été abattus après que la surveillance aérienne a été accrue. Le deuxième et le troisième avaient la taille approximative d’une petite voiture, le troisième revêtait une forme cylindrique, tandis que le quatrième était octogonal. A ce stade, rien ne prouve qu’ils aient un lien avec le ballon chinois.

Pourquoi les Américains accusent-ils la Chine ?

Selon les Etats-Unis, le premier aérostat, le ballon géant, servait à collecter des informations stratégiques sur les infrastructures américaines. Il possédait en effet de nombreuses antennes, le rendant « probablement capable de collecter et géolocaliser des communications, » selon la Maison Blanche.

Mercredi 8 février, Washington a accusé Pékin d’opérer une « flotte de ballons destinés à des opérations d’espionnage » sur les cinq continents. Dans la foulée, Washington a placé sur la liste noire des entreprises interdites de commerce avec les Etats-Unis l’une des branches de CETC (China Electronics Technology Group), une entreprise d’Etat produisant des équipements de surveillance et de renseignement, notamment des ballons d’espionnage, rapporte Bloomberg. Les Etats-Unis avaient déjà placé plusieurs de ses divisions sur liste noire.

Qu’en dit la Chine ?

Selon Pékin, le ballon était un appareil météorologique qui se serait accidentellement écarté de son itinéraire prévu, et les Américains auraient « surréagi ». Pékin a ensuite adopté une posture plus accusatrice. « Rien que depuis l’année dernière, des ballons américains ont survolé [le territoire de] la Chine à plus de dix reprises sans aucune autorisation », a assuré, lundi 13 février, un porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin, cité par l’AFP. Les Etats-Unis ont rejeté ces allégations.

Les dénégations des deux pays laissent les experts sceptiques. « On sait que les Etats-Unis sont la plus grande puissance d’espionnage au monde, rappelle Marc Julienne, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Ce qui ne doit pas occulter le fait que la Chine progresse très vite dans le domaine du renseignement, que ce soit d’un point de vue humain ou technologique, comme on le voit avec ce ballon. »

Comment ont réagi les autres pays ?

D’autres alliés de Washington ont fait part de leur préoccupation, voire de leur détermination à agir. Taïwan, qui se plaint de survols fréquents de « drones chinois », a déclaré se réserver le droit d’abattre ces « nouvelles menaces », a annoncé lundi 13 février le porte-parole du ministère de la défense, cité par l’AFP.

Le secrétaire à la défense britannique, Ben Wallace, a annoncé que « le Royaume-Uni et ses alliés allaient réfléchir à ce que ces intrusions aériennes impliquent pour leur sécurité », tandis que le ministre des transports britannique, Richard Holden, a qualifié la Chine d’« Etat hostile. »

Quelle est la nature des trois autres engins abattus ?

Un certain mystère entoure les trois aérostats repérés ces derniers jours. Après examen, les responsables américains ont admis qu’ils ne posaient pas de problème de sécurité, hormis le risque de collision avec un avion commercial. Pour le reste, la circonspection demeure. « Nous ne savons pas qui en est le propriétaire, si c’est un Etat, une entreprise ou un particulier […]. Et nous ne comprenons pour l’heure pas son usage », a expliqué un porte-parole de la Maison Blanche.

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Une des raisons tient à l’état des appareils. Tous les débris n’ont pas encore pu être récupérés. Le troisième appareil s’est par exemple écrasé dans les eaux gelées de l’Alaska. Les forces américaines et canadiennes ont prévu de collaborer pour tenter de récupérer le quatrième, écrasé dans le Yukon (nord-ouest du Canada), afin de l’analyser.

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Est-il vrai que l’hypothèse d’un engin extraterrestre a été soulevée ?

Interrogé sur la possibilité que ces objets aient été envoyés par des extraterrestres, le commandant des forces aérospatiales américaines, le général Glen Van Herck, a sobrement expliqué « n’avoir rien écarté à ce stade ». Cette réponse très ouverte a déchaîné les imaginations. Silvano Trotta, influent théoricien du complot, s’est ainsi réjoui que des « médias comme le Berliner Zeitung titrent sur une invasion alien ». Le quotidien berlinois ne fait pourtant qu’évoquer les rumeurs sur les réseaux sociaux, sans accréditer cette thèse. De même, le compte Trump Fact News écrit que selon CNN, l’engin abattu au-dessus de l’Alaska « était peut-être un vaisseau spatial extraterrestre ». La journaliste américaine Natasha Bertrand, spécialiste en sécurité nationale, se contente pourtant de relever que « les pilotes ne sont pas d’accord sur ce qu’ils ont vu ».

En réalité, la réponse très ouverte des forces aérospatiales américaines a surtout vocation à éviter de commettre un impair. Face à la question d’une possible origine extraterrestre, « soit on passe pour un illuminé, soit on accuse des superpuissances comme la Russie ou la Chine sans preuve, resitue Marc Julienne, et d’un point de vue diplomatique, cela a des conséquences délétères ».

Face à l’emballement, la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre, a tout de même précisé, lundi 13 février, que les autorités américaines n’avaient « aucune indication d’extraterrestres ou d’activités extraterrestres ».

Que dit le droit international de la situation ?

La crise du ballon chinois pose plusieurs questions : celle de la souveraineté aérienne, de l’usage des engins identifiés, et de la proportionnalité de la réponse américaine.

Le premier point est celui qui porte le moins à débat : pour Vincent Correia, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay, il ne fait « aucun doute » que le dirigeable chinois se trouvait en territoire américain. Selon l’article 1er de la convention de Chicago, qui réglemente l’aviation civile internationale, chaque Etat « a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire ». Le ballon chinois flottait à 18 kilomètres d’altitude, or l’espace aérien ne connaît pas de limite verticale explicite.

Plus délicate en revanche est celle de leur usage. « Le droit est finement fait : on doit laisser passer les appareils civils sur son territoire mais pas les appareils militaires », explique William Woll, avocat à Paris et Metz, spécialiste du droit international. Encore faut-il connaître la nature de l’appareil. Entre le civil et le militaire se situe par ailleurs la zone grise de l’espionnage, qu’aucun traité international ne prohibe, sauf quand il s’accompagne d’une violation de la souveraineté territoriale, ce qui est le cas du ballon chinois.

Reste la question de la proportionnalité, qui est celle qui dérange le plus les juristes. « La destruction en tant que telle participe de la destruction de la preuve ; comment montrer qu’il s’agit d’un appareil d’espionnage ? », s’interroge Vincent Correia. Il évoque « une approche assez stricte et brutale » du concept de souveraineté, particulièrement probante dans le cas des trois engins suivants. « Avant la destruction, il y a tout un nuancier, » souligne William Woll : les Etats-Unis auraient ainsi pu chercher à intercepter l’appareil au lieu de l’abattre.

Pour autant, il y a peu de chances que les Etats-Unis et la Chine se retrouvent devant un tribunal international : ni Washington ni Pékin n’ont ratifié de traités internationaux qui pourraient les exposer à un face-à-face juridique.

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