« A l’échelle internationale, les “guerres de l’eau” ne sont pas une fatalité »

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Retrouvez tous les épisodes de la série « Batailles d’eau » ici.

David Blanchon est professeur de géographie à l’université de Paris-Nanterre et membre du Laboratoire architecture, ville, urbanisme, environnement (Lavue), un laboratoire de recherche du CNRS. Ses travaux portent sur la gestion de l’eau, notamment en Afrique de l’Est et du Sud, et dans l’ouest des Etats-Unis. Il a publié l’Atlas mondial de l’eau (Autrement, 2022) et Géopolitique de l’eau (Cavalier bleu, 2019).

Quelle est la place de l’eau dans les conflits entre Etats ?

A l’échelle internationale, la ressource représente un enjeu stratégique dans les régions en situation de stress hydrique, ce qui n’empêche pas les « guerres de l’eau » de rester très minoritaires. En compilant toutes les interactions entre Etats sur le sujet depuis soixante-dix ans, des chercheurs de l’université de l’Oregon ont montré que seules quatre actions militaires étaient directement ou indirectement liées à l’eau, alors qu’il existe 283 grands fleuves transfrontaliers dont la gestion est partagée entre différents pays. Si l’eau est rarement la cause première d’un conflit, elle peut toutefois l’aggraver.

Dans le conflit israélo-palestinien, les questions hydropolitiques ont joué un rôle stratégique. C’est notamment pour sécuriser son approvisionnement que l’Etat israélien a occupé une partie du plateau du Golan lors de la guerre des Six-Jours, en 1967. Trois ans auparavant, Israël avait construit un gigantesque aqueduc, le National Water Carrier, reliant le lac de Tibériade et les eaux du Jourdain aux villes côtières israéliennes. Or les cours d’eau du Golan alimentent le haut bassin du Jourdain, qui fournissait jusqu’à 80 % de la ressource utilisée en Israël à l’époque, transférée par un gigantesque aqueduc vers les villes côtières. Depuis les années 2000, la situation a évolué car Israël a développé d’importantes usines de dessalement, ce qui le rend moins dépendant du fleuve, mais des tensions perdurent en Cisjordanie, où les puits très profonds des colonies israéliennes atteignent les nappes souterraines, asséchant les puits palestiniens.

Comment expliquer qu’à l’échelle mondiale les conflits restent rares, y compris dans des régions où l’eau manque ?

Même si l’on compare souvent l’or bleu à l’or noir, la géopolitique de l’eau n’a rien à voir avec celle du pétrole ou des minerais rares. On ne gère pas des flux comme des stocks. Parce que l’eau s’écoule, un Etat ne peut pas vraiment se l’approprier, ou alors sur une durée déterminée. Un barrage peut retenir l’eau plusieurs mois, voire un an, mais il faut bien un jour ouvrir les vannes, surtout s’il a été construit pour produire de l’électricité. Une autre raison tient au caractère irremplaçable de la ressource. Un embargo sur le lithium ou le charbon est envisageable. En revanche, priver son voisin d’eau condamne des populations à court terme à la maladie et à la mort. Un Etat qui s’engagerait dans une telle voie serait accusé de crime de guerre.

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