A Tunis, l’étrange face-à-face entre adversaires et partisans du président Kaïs Saïed

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En plein cœur de Tunis, sur la place Maya-Jribi – du nom d’une figure de l’opposition à l’ancien régime de Zine El-Abidine Ben Ali (1987-2011) décédée il y a six ans –, se dresse le siège du parti Al-Joumhouri. En dépit de la chaleur étouffante, des dizaines de proches et membres des familles de prisonniers politiques s’y sont rassemblés, jeudi 25 juillet, pour une marche dénonçant le « coup de force » perpétré trois ans plus tôt par le président Kaïs Saïed et célébrant le 67e anniversaire de la proclamation de la République tunisienne.

Faïza Rahem, épouse de Issam Chebbi, se trouve en première ligne. Son mari, successeur de Maya Jribi à la tête d’Al-Joumhouri, est incarcéré depuis le 25 février 2023, accusé de complot contre la sûreté de l’Etat, comme des dizaines d’opposants. Depuis sa cellule, il a tenté de se présenter à l’élection présidentielle dont le premier tour est prévu le 6 octobre, mais a dû renoncer face au refus de l’instance électorale de lui fournir le formulaire indispensable pour recueillir les 10 000 parrainages requis.

La liste des candidats (potentiels ou annoncés) poursuivis en justice, incarcérés ou exilés est longue, laissant planer le risque d’une élection jouée d’avance. « On ne peut pas appeler ça des élections, c’est une mascarade. Kaïs Saïed va tout faire pour empêcher ses concurrents de se présenter. Il sait que s’il quitte le pouvoir, il sera jugé », soutient Ezzedine Hazgui, prisonnier politique sous le régime d’Habib Bourguiba (1957-1987) et père de l’opposant Jaouhar Ben Mbarek, lui-même incarcéré depuis plus d’un an.

« Nous sommes épuisés »

Comme Faïza Rahem et Ezzedine Hazgui, plusieurs membres des familles de prisonniers politiques arborent des paniers sur lesquels sont imprimés des calendriers des visites carcérales. « Nous sommes épuisés par les allées et venues, la chaleur et le froid des prisons. Nous demandons la libération de tous les prisonniers politiques. A bas le coup d’Etat ! », fulmine Faïza Rahem.

« Filmez ces paniers, c’est notre vie aujourd’hui. Les femmes libres de Tunisie portent les paniers aux hommes libres de Tunisie dans les prisons », indique Monia Brahim, ancienne députée du parti islamo-conservateur Ennahda et épouse d’Abdelhamid Jelassi, lui aussi emprisonné depuis février 2023. « Voilà ce que nous a apporté le coup d’Etat. Les politiques, les journalistes, les docteurs, les jeunes, tous sont jetés en prison. Est-ce l’avenir que vous souhaitez pour le pays ? », s’indigne-t-elle.

Depuis le 25 juillet 2021, date à laquelle Kaïs Saïed a suspendu le Parlement et s’est octroyé les pleins pouvoirs, la Tunisie a connu un virage autoritaire marqué par l’adoption d’une nouvelle Constitution hyperprésidentialiste, la dissolution du Parlement, le démantèlement des institutions post-révolutionnaires et la répression accrue des opposants, notamment issus d’Ennahda – dont le leader, Rached Ghannouchi, est incarcéré depuis plus d’un an.

Kaïs Saïed a également renforcé son contrôle sur le pouvoir judiciaire et limité la liberté d’expression avec le décret-loi 54 contre les « fausses nouvelles ». Le texte a permis l’arrestation de nombreux opposants, journalistes, syndicalistes et avocats, accusés de complot ou d’intelligence avec des puissances étrangères.

« Une dernière chance »

A quelques mètres de la manifestation des familles de prisonniers politiques, une trentaine de partisans du président sont rassemblés devant le théâtre municipal de l’avenue Habib-Bourguiba. Arborant des drapeaux tunisiens et des portraits du chef de l’Etat – qui a officiellement annoncé le 19 juillet sa candidature à sa réélection –, les manifestants, qui disent soutenir le « processus du 25 juillet », restent néanmoins critiques sur le bilan de l’homme fort de Carthage, dont les « réalisations » tardent à se concrétiser.

« C’est vrai que beaucoup de personnes ont peur. Il faudrait arrêter avec cette politique sécuritaire et commencer à trouver des solutions. Ça prend du temps, donc il faut lui laisser une dernière chance », défend Mohamed Rahali, un soutien de la première heure. « Même ceux qui viennent scander “Vive Kaïs Saïed !” le font en tremblant », avoue Hilal Ghediri, un autre manifestant. Le soutien au président sortant ne les empêche pas de déplorer que ses rivaux se trouvent tous « soit en prison, soit à l’étranger ».

Concernant la manifestation des familles de prisonniers politiques, le discours des partisans de Kaïs Saïed reste conciliant. « Ce sont des Tunisiens comme les autres. S’ils se sont trompés, ils doivent payer, mais après il doit y avoir une réconciliation », affirme Noureddine, un employé de la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG) qui a requis l’anonymat : « Même dans les administrations, plus personne n’ose prendre de décisions de peur de se retrouver en prison. »

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Depuis l’entame de son virage autoritaire, le projet politique du chef de l’Etat suscite de moins en moins d’adhésion parmi les Tunisiens qui avaient célébré son « coup de force ». Les dernières élections locales et législatives n’ont attiré qu’environ 11 % de l’électorat. En l’absence de compétition réelle, la capacité de Kaïs Saïed à mobiliser la population pourrait une nouvelle fois être mise à l’épreuve lors de l’élection présidentielle.

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