Après le séisme en Turquie, l’édile debout dans le village martyr de Büyüknacar

Le village de Büyüknacar est posé sur le toit d’un monde qui n’existe plus. A près de 1 300 mètres d’altitude, sur les hauteurs de la province de Kahramanmaras, dans ce Sud profond et glacial de la Turquie, le séisme du lundi 6 février est venu faucher les vies. La mort est montée de la terre et, depuis, les survivants n’en finissent pas de prier et de pleurer les disparus. Les premiers secours sont venus au bout du troisième jour. Ils commencent à peine à prendre la mesure de l’ampleur des dévastations. L’épicentre de la catastrophe était à moins de 10 kilomètres à vol d’oiseau. Certains, ici, disent qu’il a eu lieu sous leurs pieds.

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Assis autour d’un poêle, ils sont une quinzaine, serrés les uns contre les autres, des hommes âgés pour la plupart, les visages sombres et perclus de fatigue. Quelques chaises en plastique, des piles de couvertures par terre et le crépitement du bois dans la salle de classe d’école primaire transformée en petit havre de paix. Debout, Uzeyir Karabudak est le seul à élever la voix. Il parle fort au téléphone. Les lignes sont mauvaises. Sans électricité, il faut faire vite. Le temps de charge, dehors, dans une voiture, est exaspérant. Il dit vouloir des conteneurs. Les quatre tentes installées la veille par l’AFAD, l’organisme public turc de gestion des catastrophes, sont restées vides. « Ici, la nuit, il fait froid et le vent est dur, personne n’a idée de dormir dehors. »

Uzeyir Karabudak (à droite), le « muhtar » du village, et d’autres survivants se rassemblent autour d’un poêle, dans le village de Büyüknacar (Turquie), le 9 février 2023.

A 52 ans, Uzeyir est le « muhtar » de Büyüknacar. Muhtar, c’est-à-dire une sorte d’équivalent du maire, l’interlocuteur privilégié entre l’Etat et ses citoyens, de père en fils depuis toujours. Son ancêtre a fondé le village avec une autre famille il y a près de trois cent cinquante ans. Une longue lignée et une tradition strictement maintenue qui font que la nature environnante, le village, les éléments, tout cela est immensément familier. « Mais ça, personne n’a jamais vu pareille chose. »

Violence inédite

Ce n’est pas la première fois qu’un tremblement de terre a tenté de tout détruire. Mais une telle violence est totalement inédite, de l’avis de tous. Sur 190 maisons que compte Büyüknacar, seules 17 sont encore debout. Plus de cinquante ont été entièrement détruites, aplaties ou avalées par la montagne. Les autres sont crevassées, fissurées, éventrées, et menacent d’un jour à l’autre de s’effondrer.

Büyüknacar, dont la racine du nom remonte au perse ancien et signifie « sans espoir », a enterré 46 membres de sa communauté. Un chiffre provisoire, fait comprendre Uzeyir. A peine 130 maisons ont été fouillées et auscultées. Personne ne sait combien de villageois sont portés disparus ou encore sous les décombres. Büyüknacar compte un peu plus de mille habitants, mais certains étaient absents le matin de la catastrophe.

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