Il faut attendre la tombée de la nuit pour parler aux esprits de la forêt. La cheffe du village, Hortense Kakolousso, a convoqué les sages à l’endroit où se dresse le premier rideau d’arbres. Au sol, éclairés par deux bougies, ont été déposés sur de petites feuilles des morceaux de biscuit, des bonbons, des bananes. Autour, une bouteille de soda, une autre de bière et une brique de vin complètent les offrandes. Un homme plutôt jeune prend la parole pour expliquer la présence des étrangers : « Il ne faut pas voir cela en mal. Ce sont des archéologues. Ils sont là pour expliquer le monde et instruire nos enfants. Il faut les protéger », exhorte-t-il, avec l’assentiment de l’assemblée, dans le dialecte douma parlé dans la région de Lastoursville, au cœur de cette forêt équatoriale qui recouvre le Gabon. Le rituel achevé, Hortense clôt la cérémonie. Les morts comme les vivants sont informés. Demain, munie de ce sauf-conduit, la mission pourra démarrer.
Pour rejoindre la grotte de Youmbidi, nichée au flanc d’une imposante falaise gris sombre noyée dans la végétation, une petite heure de marche suffit. Mais l’atmosphère est humide, le terrain glissant. La piste est dégagée à la machette et des encoches sont laissées, ici et là, sur les arbres, comme autant de repères pour le chemin du retour. Richard Oslisly et Geoffroy de Saulieu sont pourtant en terrain familier. Ce 30 juin, les archéologues de l’Institut de recherche pour le développement associés à l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) gabonaise entament leur quatrième campagne de fouilles. Leur objectif : percer les secrets de cet abri-sous-roche, découvert en 2015, où ils ont mis au jour une séquence sédimentaire qui témoigne d’une occupation vieille d’au moins vingt-cinq mille ans.
Youmbidi, avec son porche large de 40 mètres, une profondeur d’à peine 20 mètres et une hauteur de 3 mètres au plus, n’est pas la cavité la plus spectaculaire parmi la cinquantaine dénombrées dans les environs de Lastoursville. Mais la qualité du matériel trouvé par les scientifiques y a d’emblée été jugée prometteuse pour mieux comprendre l’histoire des populations de chasseurs-cueilleurs et leurs interactions avec un environnement longtemps jugé trop inhospitalier pour que des sociétés puissent y évoluer.
« Les grottes sont très rares en Afrique centrale et elles sont précieuses car, sur les sites en plein air, l’acidité des sols dissout les ossements. Ici, nous avons une coupe stratigraphique parfaite depuis le début de l’holocène (− 12 000 ans), dans laquelle sont conservés, avec des densités variables selon les couches, des pierres taillées, des tessons de poterie, des charbons de bois, des os de buffle, des dents de singe et de petits rongeurs, des graines qui nous permettent déjà d’esquisser un régime alimentaire. Mais le Graal serait de trouver une dent humaine ou, mieux encore, un crâne », imagine Richard Oslisly, qui arpente le Gabon depuis une quarantaine d’années. Son travail a permis de révéler l’insoupçonnée richesse archéologique du pays, même si celle-ci a, jusqu’à présent, été très peu exploitée, faute de moyens.
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