Au Kenya, le vice-président menacé de destitution

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La question est sur toutes les lèvres au Kenya depuis plusieurs semaines : Rigathi Gachagua, le vice-président, va-t-il être destitué ? L’éventualité semble de plus en plus plausible. Mardi 8 octobre, après plusieurs heures de discussions et de débats qui se sont étirés jusque dans la soirée, 282 députés kényans sur 349 ont voté en faveur de la destitution du deuxième plus haut personnage de l’Etat. Un fait inédit dans l’histoire du pays.

Une première étape avait déjà été franchie une semaine plus tôt quand l’Assemblée nationale avait jugé recevable le dépôt de la motion de destitution. Parmi les parlementaires ayant voté le texte mardi soir se trouvent de nombreux élus de la coalition au pouvoir, Kenya Kwanza, dont est issu Rigathi Gachagua.

Onze griefs sont officiellement reprochés au vice-président, dont des faits de corruption. Le numéro deux de l’Etat aurait acquis de façon illégale des propriétés immobilières et des hôtels de luxe. Il est aussi accusé d’avoir poussé à la division ethnique, d’avoir fait pression sur une juge, d’« atteinte à l’unité nationale » ou encore d’« insubordination ».

Durant deux heures mardi soir, vêtu d’un costume bleu au revers duquel était épinglé le drapeau kényan, Rigathi Gachagua a cherché à se justifier, expliquant que les biens immobiliers qui lui étaient attribués appartenaient à des membres de sa famille et non à lui.

Il avait dénoncé la répression policière

Rigathi Gachagua, 59 ans, était encore inconnu de la plupart des Kényans jusqu’en 2017 et sa première élection comme député. L’homme, proche des milieux protestants pentecôtistes, se montre volontiers à l’église les dimanches et aime raconter comment ses parents ont aidé les combattants Mau-Mau contre les Britanniques dans les années 1950, au moment de la lutte d’indépendance.

Le vice-président a fait l’essentiel de sa carrière dans l’administration publique avant de faire fortune dans les affaires. Il affirmait en 2022 être à la tête d’un patrimoine de 800 millions de shillings kényans (5,7 millions d’euros). Surtout, il a été l’assistant d’Uhuru Kenyatta, président du Kenya de 2013 à 2022, durant quatre ans avant de se brouiller avec lui. C’est à la surprise générale que William Ruto l’avait choisi comme colistier pour sa campagne présidentielle de 2022, l’élection kényane fonctionnant sur un « ticket » président et vice-président, comme aux Etats-Unis.

Cet été, au moment des manifestations contre la loi de finances réprimées violemment par la police, Rigathi Gachagua avait indirectement taclé le président. « M. Gachagua y a vu l’opportunité de se placer du côté du peuple en déclarant que la réponse policière, qui avait entraîné des morts, était un problème », explique Awino Okech, professeure de sciences politiques à l’Ecole d’études orientales et africaines de l’université de Londres. « Les manifestations lui ont surtout donné plus d’audace pour parler », juge Gedion Onyango, analyste politique à la London School of Economics (LSE).

Rupture avec le président Ruto

Les tensions entre les deux têtes de l’exécutif couvaient depuis longtemps. Les manifestations de juin-juillet « n’ont été que le début de la fin d’une relation qui s’étiolait depuis déjà un bout de temps », analyse Awino Okech.

La politique kényane est un jeu subtil d’alliances régionales. Les candidats à la présidentielle doivent parvenir à agréger autour d’eux un maximum de votes issus de la quarantaine de groupes ethniques du pays. Notamment ceux de l’ethnie kikuyu. Si les Kikuyu ne sont pas majoritaires, ils représentent le groupe le plus nombreux dans le pays (environ 17 % de la population). Sans leur adhésion, difficile de remporter le scrutin présidentiel. Or M. Gachagua appartient à cette communauté, ce qui n’est pas le cas de M. Ruto.

« Le choix de M. Ruto de prendre M. Gachagua comme colistier a été orienté par la capacité de ce dernier à mobiliser des votes régionaux pour lui », explique Awino Okech. Mais les bénéfices de ce choix n’ont pas été à la hauteur des attentes.

La rupture est aussi liée « aux efforts de M. Gachagua pour s’imposer comme le leader politique de la région du mont Kenya [la région de l’ethnie kikuyu]. M. Ruto et ses proches y ont vu une menace et une tentative pour saper l’influence du président dans cette région, explique Gedion Onyango. M. Gachagua n’est pas une personnalité politique de premier plan, que ce soit chez les Kikuyus ou à l’échelle nationale. Sans pouvoir ou influence sur le gouvernement, il va rapidement disparaître. »

Le processus de destitution, tacitement soutenu par le président Ruto, pourrait aussi se retourner contre le chef de l’Etat. Alors qu’une série d’auditions publiques avaient lieu à travers tout le pays vendredi 4 octobre au sujet de la destitution, un hashtag #ImpeachBoth, est apparu sur X (ex-Twitter). Ceux qui l’ont relayé demandent à ce que la destitution (impeachment en anglais) soit étendue à William Ruto lui-même, accusé depuis les manifestations de l’été de ne pas écouter ses concitoyens.

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Après le vote de l’Assemblée nationale, la motion de destitution du vice-président Gachagua doit être soumise dans les prochaines semaines au Sénat, composé de 68 membres. Pour l’adopter, 45 voix seront nécessaires.

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