A Nairobi, pour sa première escale sur le continent africain depuis son arrivée à la tête du ministère des affaires étrangères, en janvier, Stéphane Séjourné a promis de renouveler la relation avec les pays africains. Sur la forme, l’objectif est rempli. Lors de sa première prise de parole, samedi 6 avril, le chef de la diplomatie française a tutoyé son homologue kenyan Musalia Mudavadi. Une familiarité peu usuelle, et que le vieux routier de la politique kenyane, qui a traversé les différents régimes depuis vingt-cinq ans et occupe le portefeuille de ministre des affaires étrangères en ayant rang de premier ministre n’a sans doute pas saisie.
La France reconnaît qu’elle n’a d’autre choix que de se réinventer, à l’heure où son influence décroît dans son ancien pré carré d’Afrique francophone, et où elle a enchaîné les revers depuis 2021 au Mali, au Niger et au Burkina Faso, trois Etats sahéliens dirigés par des militaires putschistes que ses diplomates et ses soldats ont été priés de quitter. Paris veut donc « construire des partenariats équilibrés, respectueux mutuellement » avec les pays africains, a assuré Stéphane Séjourné au premier jour de sa tournée.
Le chef de la diplomatie française doit prendre part dimanche 7 avril aux commémorations du 30e génocide des Tutsi au Rwanda, où Emmanuel Macron, bien qu’invité, a décidé de ne pas aller. Il se rendra ensuite jeudi en Côte d’Ivoire. « Nous devons conquérir de nouvelles frontières », explique un diplomate français.
« Un pays raisonnable, qui n’attise pas les tensions »
Poids lourd de l’Afrique de l’Est anglophone, le Kenya, où Emmanuel Macron s’était rendu en 2019, incarne ces pays où la France espère gagner du terrain. Le président William Ruto ambitionne de devenir l’un des porte-voix de l’Afrique sur la scène internationale. Et il a su, depuis son arrivée au pouvoir en 2022, ménagés ses partenaires occidentaux tout en nouant de nouvelles alliances.
Il est l’un des chefs d’Etat africains à avoir pris une « position inébranlable » sur l’offensive russe en Ukraine, estimant qu’il doit y avoir « un respect inébranlable de l’intégrité territoriale des Etats membres de Nations unies », même s’il a cherché dans le même temps à raffermir ses liens commerciaux avec Moscou. A la demande des Etats-Unis, William Ruto s’est également engagé à diriger la force d’intervention onusienne en Haïti et d’y envoyer 1 000 hommes. Sur la scène sous-régionale, il a commandé la force est-africaine en République démocratique du Congo, avant d’être prié par les autorités congolaises de plier bagage en décembre 2023, un an seulement après son déploiement.
« C’est un pays raisonnable, qui n’attise pas les tensions », estime le Quai d’Orsay. Enfin, Paris et Nairobi partagent une volonté d’obtenir des résultats sur la lutte contre le réchauffement climatique. En septembre 2023, la capitale kenyane a ainsi accueilli un sommet africain sur le climat
Jouer les seconds rôles
Une ouverture dont les Français tentent de profiter pour déployer leur nouvelle politique faite d’initiatives de « soft power » culturelles, sportives, de santé et d’enseignements, et remporter des marchés économiques. Paris se félicite d’avoir fait passer le nombre d’entreprises hexagonales présentes au Kenya de 50 il y a 10 ans à 140 aujourd’hui, et d’y permettre l’emploi de 34 000 personnes.
Mais dans ce pays où elle est une puissance nouvelle, la France peine parfois à atteindre ses objectifs. Les ministres français et kenyan des affaires étrangères ont annoncé samedi un accord sur le financement par Paris d’un train urbain à Nairobi via un prêt de 138,7 millions de dollars. Un marché que la France cherche à sceller depuis plusieurs années, et qui a vu son envergure revue à la baisse pour pouvoir être conclu.
Paris a aussi été contrainte de renoncer à un projet d’infrastructure majeur fin 2023 : la construction d’une autoroute de 175 kilomètres par Vinci. Le contrat d’1,3 milliards d’euros sur 30 ans avait été signé sous le précédent président mais n’a pas convaincu William Ruto. Contrairement à la Chine, dont les péages flambant neuf en forme de pagodes accueillent tous les visiteurs qui débarquent à l’aéroport de Nairobi et empruntent les 27 kilomètres d’autoroute qui les conduisent au centre de la capitale.
Désormais cinquième investisseur au Kenya, la France arrive loin derrière des partenaires comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Aux nouvelles frontières de sa diplomatie, Paris doit encore se contenter de jouer les seconds rôles.