« Je ne peux pas me sortir cette scène de la tête, ne cesse de répéter Sultan, habitante de Diyarbakir, en sanglotant, nous avions été voisines pendant des années. Elle était enceinte. Elle hurlait de terreur à la fenêtre après la première secousse quand l’immeuble s’est effondré sur elle. Une famille de six personnes… Seul le petit de 6 ans a réussi à s’échapper de justesse. » Depuis lundi, la grand-mère d’une soixantaine d’années raconte la scène, encore et encore. Sous le choc du tremblement de terre de magnitude 7,8 qui a touché le sud-est de la Turquie, elle et ses proches ont trouvé refuge dans les locaux de la chambre de commerce et d’industrie de la grande ville des régions à majorité kurde du pays. Installée au premier étage du bâtiment, la famille a reconstitué un semblant d’intérieur : matelas disposés le long des murs en guise de canapé, espace de jeu pour les enfants, coins plus calmes réservés au repos…
« J’ai essayé de retourner chez moi, mais j’ai peur que l’immeuble ne s’effondre. Le gaz a été coupé… et j’ai l’impression de sentir une odeur, comme celle d’un cadavre », précise-t-elle, une crispation un peu plus marquée sur le visage. Assise en tailleur face à elle, une de ses cousines écoute une énième fois le récit avec compassion. Elle attend des nouvelles de trois membres de sa famille coincés sous les décombres. Trois jours après le drame, des miracles continuent de se produire. Le bilan provisoire de la catastrophe fait état de 18 342 morts, le séisme le plus meurtrier dans le pays depuis celui d’Erzincan en 1939, qui avait fait près de 33 000 victimes.
Pour d’autres, la colère a désormais remplacé le deuil. « Est-ce que vous vous rendez compte ? Toute la solidarité s’organise sur les réseaux sociaux, des gens ont besoin d’aide, et les autorités décident de suspendre Twitter ! », enrage Mahmut, jeune professeur de musique de 25 ans, les sourcils froncés et le regard noir. Ayant grandi dans les régions kurdes soumises à la pression des autorités centrales, il caressait pourtant le rêve de vivre un jour dans un pays libéré des tensions ethniques. La réponse politique du gouvernement a achevé de réduire ses espoirs en miettes. « Depuis quatre jours, ce qui m’a le plus révolté, c’est le discours télévisé d’Erdogan après la catastrophe. Il n’y avait que de la colère et de la dureté dans son regard… En tant que victime d’un séisme, je ne m’attendais pas à cela de la part du président. Je n’ai vu aucune peine dans son regard, aucune empathie », s’exclame-t-il. La peur qui s’est emparée de la société ces dernières années dissuadait les critiques contre le gouvernement. Le drame de ces derniers jours a délié les langues.
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