LETTRE DU MAGHREB
Parvenir au cloître, c’est rouler quelques minutes depuis la ville d’Azrou, dans le nord du Maroc, longer des terres agricoles, succession de buttes et de vallons, irradiées de soleil en été, mais où la neige tombe dru l’hiver, puis rejoindre un court plateau à 1 500 mètres d’altitude. Le monastère est là. Au-dessus, une montagne noire de cèdres parsemée de blocs volcaniques. Reconnaissables au loin, ces roches géantes ont donné leur nom à Toumliline, littéralement « les pierres blanches ». Dans ce territoire rural, la toponymie berbère se confond avec la géographie.
Longtemps abandonné, en partie restauré, « Toum », qui a perdu sa fonction religieuse, revit. A l’origine de sa réhabilitation, Lamia Radi, diplomate marocaine, arpente chaque pièce avec enthousiasme. Ici, la bibliothèque, qui fut l’une des plus importantes du pays. A la fermeture du monastère, en 1968, ses 15 000 ouvrages ont été déplacés. Un inventaire est en cours pour récupérer des copies. Là, les cellules des moines, qui serviront à des résidences. Le toit a été refait, mais des tuiles manquent. La faute aux singes magots qui prolifèrent.
Sous les herbes folles qui recouvraient le site, un chemin de procession a été mis au jour. Il jouxte la chapelle, fraîchement repeinte, où les visiteurs de passage sont désormais seuls à prier. L’endroit n’est pas déserté pour autant. Deux films y ont été tournés : Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois, inspiré de l’histoire des moines de Tibéhirine, assassinés en Algérie en 1996, et The Spy, diffusé sur Netflix, qui retrace le parcours de l’agent secret israélien Eli Cohen.
Toumliline est un décor, mais pour ceux qui furent des enfants pauvres d’Azrou, son enceinte a été synonyme de foyer. A écouter Rahho Taïfi, 71 ans, l’entrée à l’internat fut un chamboulement. « On n’avait rien et, du jour au lendemain, on s’est retrouvés avec des habits, de la nourriture, des soins. » A ses côtés, Omar Dach, 76 ans, pointe du doigt l’emplacement qu’occupait son lit. Ce n’est plus qu’un espace vide dans un bâtiment en ruine, mais lui qui avait 9 ans à l’époque se souvient, mimant son entrée, les larmes aux yeux, dans ce qui était le bureau du père Gilbert. « On le surnommait “l’homme aux grandes oreilles”, car rien ne lui échappait. »
Dialogue entre chrétiens et musulmans
Ouvert par des bénédictins du Tarn, « Toum » surgit dans une période troublée, quelques semaines avant les émeutes sanglantes de Casablanca, qui firent des dizaines de morts en décembre 1952. Le protectorat se disloque. D’un côté, des Marocains désireux de s’affranchir de la tutelle française. De l’autre, une majorité de colons français déterminés à rester. Entre les deux, une poignée de « chrétiens libéraux » favorable à l’indépendance. Les moines, dont certains combattirent durant les deux guerres mondiales, ne sont pas insensibles à cette aspiration, allant jusqu’à se lier à des figures de la résistance marocaine.
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