Au Maroc, un projet de loi divise l’industrie cinématographique

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Les exploitants de salles au Maroc pourront-ils encore distribuer des films en 2025 ? Rien n’est moins sûr depuis l’adoption définitive, lundi 2 décembre, au Parlement, d’un projet de loi sur l’industrie cinématographique. Porté par le ministre de la culture, Mohamed Mehdi Bensaid, le texte instaure un nouveau cadre légal pour la profession. Mais parmi sa centaine de dispositions, l’une en particulier inquiète les exploitants distributeurs, poids lourds du septième art marocain.

Le projet de loi prévoit en effet de scinder les deux métiers, interdisant à l’un d’exercer l’autre. Un petit nombre d’acteurs est visé, qui se partagent plus de la moitié des films distribués, mais tout le milieu ne parle que du premier d’entre eux : Megarama, cinquième exploitant de l’Hexagone et leader des multiplexes au Maroc. « L’objectif inavoué est de briser son hégémonie », glisse un producteur de Rabat.

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Présent dans les principales villes du royaume, le groupe français y possède 48 écrans – près des deux tiers du parc marocain – et plus de 11 000 sièges, captant l’essentiel des recettes guichets : 7 millions d’euros en 2023, soit 82 % du marché. Sa part dans la distribution est plus fluctuante, mais avec 77 films en 2023, elle s’élevait à 35 %. De quoi hisser l’entreprise familiale à la première place du podium.

Contacté par Le Monde, son fondateur et président, Jean-Pierre Lemoine, se dit « sous le choc » et n’exclut pas la possibilité d’une cession, totale ou partielle, de ses salles au Maroc. « J’ai l’impression d’être un paria, fulmine l’homme d’affaires de 94 ans. Nous sommes arrivés il y a plus de vingt ans au Maroc, nous avons construit à Casablanca le premier multiplexe d’Afrique, j’ai investi des millions d’euros ici, alors si c’est pour travailler dans un climat de défiance, je préfère vendre. »

« Je risque de mettre la clé sous la porte »

L’emblématique patron, qui a ouvert sa première salle en France en 1947, espère quand même « trouver une solution ». Son bras droit, Olivier Labarthe, doit se rendre mercredi au Maroc, où il devrait rencontrer le ministre de la culture.

Joint au téléphone, le directeur général adjoint de Megarama évoque une possible réorganisation du groupe, mais veut se donner le temps : « Nous verrons en fonction des aménagements à la loi. » Celle-ci n’entrera en vigueur que neuf mois après sa publication – sa date n’a pas été fixée – au Bulletin officiel, et une vingtaine de textes réglementaires seront encore nécessaires pour l’appliquer. « Ils sont en cours d’élaboration », précise l’entourage de M. Bensaid.

Quel serait le manque à gagner pour Megarama, qui emploie 250 salariés au Maroc ? L’entreprise refuse de communiquer le montant des revenus qu’elle tire de la distribution, mais un concurrent évalue les siens à 30 % de son chiffre d’affaires. « Autant dire qu’une fois la loi sortie, souligne-t-il, je risque de mettre la clé sous la porte. »

Officiellement, l’interdiction vise à promouvoir le cinéma marocain, qui serait, dit-on, lésé. « Certains grands exploitants de multiplexes, également distributeurs de films, imposent aux producteurs nationaux des conditions tarifaires restrictives », affirme Abdelaziz El Bouzdaini, le directeur par intérim du Centre cinématographique marocain (CCM). « Ces derniers rencontrent des difficultés à diffuser leurs films, ajoute-t-il, ce qui défavorise les productions du royaume. »

« La situation d’iniquité »

Mais l’argumentaire suscite l’incompréhension des distributeurs propriétaires de salles et jusqu’à celle des fédérations professionnelles, plusieurs d’entre elles ayant recommandé, en vain, lors des discussions sur l’avant-projet de loi, le retrait de la mesure. A l’évidence, les chiffres contredisent « la situation d’iniquité » dont souffriraient, selon le CCM, les films marocains. Non seulement ces longs métrages représentent en moyenne 40 % des entrées annuelles, soit la part des films français dans l’Hexagone, mais leurs recettes sont les plus élevées après celles des blockbusters américains.

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Quant aux sommes versées par Megarama aux productions marocaines dont il distribue les films, le groupe déclare respecter une politique tarifaire « dans la norme » : 50 % des recettes guichets au départ, le pourcentage baissant au fur et à mesure que l’audience décline. « Je n’ai jamais refusé de diffuser un film marocain », assure Jean-Pierre Lemoine.

La fin des exploitants distributeurs paraît d’autant moins judicieuse, relèvent des observateurs, que c’est sur l’association des deux métiers que reposent les puissantes industries du cinéma aux Etats-Unis et en Europe, où ceux-ci sont aussi bien souvent producteurs.

« C’est un modèle vertueux, car il implique des investissements. De toute évidence, séparer ces activités ne bénéficiera pas à l’industrie du cinéma », déplore un spécialiste franco-marocain. Sur les 81 écrans existants au Maroc, 70 % appartiennent à des sociétés visées par l’interdiction.

L’arrivée de Pathé

Sans être concerné pour le moment, un autre groupe français observe avec attention le devenir du projet de loi. Coprésidé par Jérôme Seydoux, Pathé, numéro un des salles en France, exploite depuis décembre 2023 un multiplexe à Casablanca. Avec succès : 180 000 euros de recettes guichets en seulement dix jours d’activité. Le géant français est aussi actif dans la distribution. Par l’intermédiaire de deux sociétés marocaines indépendantes, trente films ont été distribués en 2023.

Les choses pourraient cependant changer, Pathé ayant « en tête l’idée d’ouvrir une filiale au Maroc », dans le sillage de celles récemment créées au Sénégal et en Tunisie, avance Benjamin Reyntjes, qui dirige pour l’entreprise la distribution cinématographique en Afrique francophone. « Mais nous préférons temporiser, le temps d’y voir plus clair », précise-t-il.

Le divorce entre le ministre de la culture et les exploitants distributeurs n’est pas encore consommé. Mais dans la petite famille du septième art marocain, qui s’est donné rendez-vous au Festival international du film de Marrakech jusqu’au 7 décembre, beaucoup voient dans le projet de loi l’amorce d’une reconfiguration de l’industrie cinématographique, dont tout le monde connaît la principale victime, mais dont personne ne mesure les conséquences. « Megarama va souffrir, anticipe un professionnel, mais, comme à chaque fois qu’un empire s’écroule, il y aura des dommages collatéraux. »

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