A première vue, ce n’est pas très impressionnant. Arrivé sur place, au sortir d’un village, il faut se pencher à travers la végétation dense pour distinguer un fossé, recouvert çà et là de détritus. Juste au-dessus se dresse un gros talus de latérite : là encore, sa terre rouge est recouverte d’arbres, de plantes et de lianes. Nous voilà, pourtant, devant une portion du plus grand monument connu à ce jour en Afrique subsaharienne, situé dans le sud-ouest du Nigeria actuel : une enceinte défensive d’une circonférence de plus de 160 kilomètres, formée d’un remblai et d’une tranchée atteignant parfois jusqu’à 20 mètres de haut. Elle protégeait la cité-Etat d’Ijebu, un royaume contemporain, entre autres, du célèbre royaume du Bénin, qui prospéra entre le XVᵉ et le XIXᵉ siècle.
« Vous pouvez passer devant en voiture sans même le voir », constate l’archéologue nigérian Joseph Ayodokun, devant cette partie du rempart qui a été coupée par le creusement d’une petite route. L’« Eredo de Sungbo », c’est son nom, a presque disparu sous la végétation foisonnante qui le dérobe aux regards et à la mémoire. Il a aussi, comme nombre de vestiges de l’histoire médiévale africaine, été longtemps délaissé par la recherche. Le Nigeria – pays très peuplé, dynamique mais chaotique – manque considérablement de moyens. Les chercheurs occidentaux, eux, ont longtemps manqué d’intérêt pour cette bande forestière d’Afrique de l’Ouest, entre côte et savane, qu’ils voyaient comme un « désert » civilisationnel, comme le décrit notamment l’historien François-Xavier Fauvelle dans son ouvrage L’Afrique ancienne (Belin, 2018).
A rebours de cette image, Ijebu – aujourd’hui Ijebu-Ode – était un influent centre urbain, qui tirait profit de sa localisation stratégique dans un paysage politique multipolaire. « Elle constituait une sorte de barrière pour les gens qui venaient de l’intérieur faire commerce avec la côte, et inversement », poursuit M. Ayodokun. Bien avant l’arrivée des Portugais à Lagos, en 1472, on s’y échangeait des épices, des noix de kola, de l’huile de palme, contre des étoffes ou du sel, transportés notamment via la véritable autoroute que constituait alors le fleuve Niger.
Localisation précise
Reflet de sa puissance, la construction de l’Eredo, au début du XVᵉ siècle, a nécessité d’énormes « quantités d’énergie et d’heures de travail », souligne l’archéologue nigérian, affilié à l’université d’Ibadan, dans le sud-ouest du Nigeria. « Pour mener un tel projet, ce devait être un pouvoir politique très fort et très déterminé », précise-t-il. La muraille de terre a « probablement » eu pour fonction à la fois de démarquer son territoire, d’en contrôler l’accès et de le défendre. Probablement, car elle reste largement méconnue.
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