Au Rwanda, des femmes dans les hautes sphères

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Paula Ingabire, ministre des technologies de l’information et de la communication et de l’innovation, lors d’une conférence à New York, en 2022. Paula Ingabire, ministre des technologies de l’information et de la communication et de l’innovation, lors d’une conférence à New York, en 2022.

Le visiteur qui se rend pour la première fois dans l’enceinte du Parlement du Rwanda ne peut rester indifférent devant ses murs criblés d’impacts de balles. Pourtant, trente ans après le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, ce témoignage d’un passé traumatisant n’est pas la principale singularité de l’institution. Celle-ci tient davantage à sa composition, avec quarante-neuf sièges sur quatre-vingts occupés par des femmes (61,3 %).

Un record ­mondial, qui sera remis en jeu à l’occasion des élections, présidentielle et législatives, organisées lundi 15 juillet au « pays des mille collines ». Interrogée sur les chances de voir perdurer cette prééminence féminine, la députée Emma Rubagumya Furaha esquisse un sourire entendu. « Ici, les femmes croient en leurs chances et se présentent donc en grand nombre », se contente d’indiquer cette élue de 57 ans qui préside la commission des affaires politiques et du genre.

Dès 2003, la Constitution rwandaise a instauré un quota de 30 % de femmes dans toutes les instances étatiques de prise de décision. Depuis lors, au Parlement, ce seuil a été constamment – et largement – dépassé. Etonnant ? Rien de plus logique au contraire, selon Emma Rubagumya Furaha : « D’après les statistiques, nous ­formons plus de la moitié de la population rwandaise. Si nous étions laissées de côté, comment pourrait-on parler sérieusement de développement ? » Aujourd’hui, insiste-t-elle, « la question du genre est prise en compte dans toutes les lois que nous examinons : sur la famille, bien sûr, mais aussi sur le budget ou les appels d’offres. »

Une parité promue après le génocide

A certains égards, l’hémicycle apparaît d’abord comme un ­instrument à la main de Paul Kagame, ce dirigeant dont l’autoritarisme sophistiqué fascine et effraie à la fois. Les députés ont ainsi entériné à l’unanimité, en 2015, la révision constitutionnelle permettant au président rwandais de briguer un quatrième mandat, après déjà vingt-quatre ans à la tête du pays. Mais cette Assemblée présidée par une femme, Donatille Mukabalisa, n’en demeure pas moins un symbole : celui d’une parité promue dès les lendemains du génocide par le Front patriotique rwandais (FPR), l’ancien mouvement de libération désormais au pouvoir. Une décision en partie dictée par les nécessités de l’histoire. « A l’époque, la majorité de ceux qui avaient survécu étaient des femmes, c’est donc avec elles que le Rwanda s’est reconstruit, rappelle l’historienne et sociologue Assumpta Mugiraneza. De façon pragmatique, beaucoup ont été envoyées à l’école et à l’université. »

Aujourd’hui, ces dames sont ministres, juges ou patronnes de grandes entreprises. La plupart sont réputées bûcheuses, rigoureuses, et certaines ont grimpé les échelons très vite. « Il n’y a pas besoin de quelconques relations. Tout ce qui compte, ce sont les compétences et l’envie de servir son pays », tranche Paula Ingabire, la ministre des nouvelles technologies. Un portefeuille stratégique dans un pays qui se projette en hub africain de l’innovation et dont elle a hérité en 2018, à seulement 35 ans.

Diplômée du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), où elle a étudié grâce à une bourse gouvernementale, Paula Ingabire est aujourd’hui l’une des figures les plus courtisées du Rwanda nouveau. Investisseurs et bailleurs de fonds se pressent chez cette élégante quadragénaire, capable de « pitcher » en quelques minutes les atouts de son pays pour développer l’intelligence artificielle, les drones ou toute autre technologie d’avant-garde. Sans nul doute, le recours à ces talents féminins participe à l’image de marque mondiale que le minuscule Rwanda, chouchou des donateurs internationaux, est ­parvenu à se forger au cours de la dernière décennie.

« Il y a tant à faire »

Dans sa quête de féminisation, le gouvernement s’appuie sur ses réseaux, dans l’administration, pour passer au crible les meilleurs profils. Y compris au sein de la diaspora. « Nous encourageons clairement les personnes très qualifiées à rentrer travailler au pays. Il y a tant à faire », reconnaît la porte-parole du gouvernement, Yolande Makolo, une autre femme puissante. Elle-même a vécu dix ans au Canada, entre 1993 et 2003, tout comme sa sœur, Yvonne Makolo, qui préside aujourd’hui la compagnie aérienne nationale, RwandAir. A leur image, bon nombre de celles qui occupent des postes influents ont connu l’exil, au sein de familles ayant fui les persécutions contre les Tutsi et la guerre civile ayant précédé le génocide.

Diane Karusisi, directrice générale du groupe Banque de Kigali, la première banque du pays, est ainsi née en République démocratique du Congo, puis a étudié et travaillé en Suisse. Repérée par le pouvoir, elle a regagné en 2009 la terre de ses origines. « Au début, il n’y avait qu’elle. Maintenant, six des onze banques du pays sont dirigées par des femmes », fait remarquer Soraya Hakuziyaremye, la vice-gouverneure de la Banque centrale du ­Rwanda.

Elle aussi a commencé sa carrière dans la finance à l’étranger, en Belgique puis en France, avant d’entrer en 2012 au cabinet d’une certaine Louise Mushikiwabo. Cette dernière, actuelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, était alors ministre des affaires étrangères. « Avec son parcours, elle était déjà un modèle, pour moi comme pour beaucoup d’autres femmes », témoigne Soraya Hakuziyaremye, chargée, à ses côtés, de jeter les bases d’une nouvelle diplomatie économique. Elle-même est devenue, en 2018, ministre du commerce au sein d’un gouvernement paritaire, avant de rejoindre la Banque centrale.

A Bangui (République centrafricaine), en 2019. Au premier plan, Soraya Hakuziyaremye, alors ministre du commerce et de l’industrie, et Félix Moloua, à l’époque ministre du commerce centrafricain. Debout, le président rwandais Paul Kagame (à gauche), et son homologue centrafricain Faustin-Archange Touadéra. A Bangui (République centrafricaine), en 2019. Au premier plan, Soraya Hakuziyaremye, alors ministre du commerce et de l’industrie, et Félix Moloua, à l’époque ministre du commerce centrafricain. Debout, le président rwandais Paul Kagame (à gauche), et son homologue centrafricain Faustin-Archange Touadéra.

Avec simplicité, la vice-gouverneure se félicite d’avoir pu gérer très tôt des dossiers stratégiques. « La marque d’une confiance qu’on ne rencontre pas spécialement en Europe », dit-elle, sans toutefois se leurrer sur le travail qu’il reste à accomplir en matière d’égalité. Car dans les conseils ­d’administration ou le middle management des grandes entreprises, les univers demeurent très masculins. Sans même parler du pays rural, où l’homme reste le maître incontesté du foyer. Soraya Hakuziyaremye l’observe à travers le prisme de l’inclusion financière. « A la campagne, si une femme veut un crédit, on lui demandera d’office si elle a l’autorisation de son mari », se désole la banquière, qui a fixé ce sujet parmi ses priorités.

Cantonnées aux champs et à la maison

« Le Rwanda demeure une société patriarcale et conservatrice », confirme Juliette Karitanyi. A la terrasse d’un bar cosy de Kigali, cette infatigable militante des droits des femmes, dite « JujuLaBelle » sur les réseaux sociaux, décrit une réalité difficile à percevoir depuis les quartiers chics de la capitale. Le cadre législatif garantit un accès équitable à la terre, aux services financiers ou à l’éducation.

Pourtant, la grande majorité des femmes reste cantonnée aux champs et à la maison. Les violences de genre demeurent à un niveau élevé. Et malgré le fléau persistant des grossesses adolescentes, le Parlement a rejeté en 2022 un projet de loi visant à autoriser l’­accès à la contraception dès l’âge de 15 ans. « Les normes sociales mettent du temps à se transformer, reprend la féministe. Mais il faut aussi se réjouir du chemin parcouru. Il y a eu des avancées formidables. Et le fait que certaines femmes soient arrivées très haut encourage toutes les autres à avoir de l’ambition. »

Au Rwanda, les rares critiques s’expriment généralement avec une grande mesure. On livre plus volontiers son admiration pour le leadership de Paul Kagame. « Je ne sais pas s’il existe quelqu’un de plus féministe que lui », s’enflamme ainsi Paula Ingabire. « L’émancipation des femmes est le fruit de sa volonté politique », renchérit sans ciller la députée Emma Rubagumya Furaha.

Cette dévotion se conjugue souvent avec un certain sens du sacrifice. Dans un pays travaillé par l’obsession de la performance, réussir à se maintenir au plus haut niveau nécessite de travailler d’arrache-pied. « En tant que femme, lorsqu’on est promue, il faut délivrer deux fois plus, estime Soraya Hakuziyaremye. Nous ne sommes pas encore si nombreuses et j’aurais peur, en cas d’échec, de fermer la porte à d’autres derrière moi. »

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