Elle n’a pas tardé à sonner la charge. Lundi 2 décembre, lors de la première session de la nouvelle Assemblée nationale sénégalaise, Aïssata Tall Sall a animé une journée jusque-là morne et imposé un bras de fer à la majorité. Au moment de l’élection du bureau de la nouvelle législature, elle a refusé de céder aux injonctions du président de l’Assemblée, El Malick Ndiaye, de proposer un nom de femme au poste de huitième vice-président.
Brandissant le règlement intérieur de l’hémicycle, elle a soutenu le droit de l’opposition de donner le nom de son choix. Puis, laissant la majorité s’arroger la totalité des vice-présidents, elle a poussé son groupe parlementaire à quitter l’Assemblée et a promis une action en justice.
Cette rentrée parlementaire est à l’image de cette femme politique bien connue des Sénégalais. Ancienne apparatchik du Parti socialiste, juriste, plusieurs fois ministre, Mme Tall Sall est réputée pour aimer le droit et l’emphase. Elle a été choisie par ses camarades pour présider le groupe parlementaire Takku Wallu Sénégal, issu de la coalition menée par l’ancien président Macky Sall aux législatives du 17 novembre.
Seul bloc d’opposition dans une Assemblée nationale largement acquise au parti du président Bassirou Diomaye Faye et du premier ministre Ousmane Sonko, Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), Takku Wallu Sénégal totalise 16 députés sur 165. « La mettre en avant ne permet pas d’initier de renouvellement générationnel. Mais au vu de notre situation compliquée, c’était le choix évident pour que l’opposition soit audible », estime un cadre de l’Alliance pour la République, membre de Takku Wallu Sénégal.
« Une femme politique douée, ambitieuse, coriace »
Installée dans son cabinet d’avocat, à quelques mètres seulement de l’Assemblée nationale, Mme Tall Sall reçoit habillée d’un de ses élégants boubous modernes qui façonnent son image publique. A l’entrée de son bureau, une affiche du film Bamako d’Abderrahmane Sissako rappelle qu’elle y a campé le rôle d’une avocate engagée. Sereine, elle promet « une opposition ferme mais constructive ».
Malgré la défaite cinglante de son camp le 17 novembre, la députée de 66 ans n’a pas l’air plus inquiète que ça. Elle en a vu d’autres, par exemple lorsque le Parti socialiste, dont elle était alors une figure montante, a perdu pour la première fois la présidentielle, en 2000, après avoir été à la tête du pays depuis l’indépendance.
« C’est l’ancien président Abdou Diouf qui lui a mis le pied à l’étrier. Il avait vu en elle une femme politique douée, ambitieuse, coriace », se souvient Abdoulaye Vilane, cadre socialiste. En 1998, Mme Tall Sall écope de son premier ministère : la communication. Quelques années plus tard, elle cherche à prendre la tête de la vieille maison socialiste. Un pas en avant qui lui aurait permis d’envisager de concourir à une élection présidentielle. Las. Elle ne parvient pas à déloger l’indéboulonnable Ousmane Tanor Dieng.
« Être une femme ne m’a sans doute pas aidée. Au sein du parti, je n’ai jamais cessé de me bagarrer pour émerger », se souvient-elle. En 2019, elle abandonne sa famille politique et rejoint le président Macky Sall. Ce dernier la gratifie avec deux postes régaliens : ministre des affaires étrangères, la première femme à occuper ce poste, puis ministre de la justice.
Accusée de se compromettre
« C’est aussi à travers l’exercice de la profession d’avocate qu’elle s’est fait connaître, ajoute El Hadj Amadou Sall, ténor du barreau, qui a usé les bancs de la faculté de droit avec Mme Tall Sall. Elle a défendu de nombreux responsables politiques, notamment sous le régime d’Abdoulaye Wade, ce qui a contribué à son prestige. » Mme Tall Sall aime aussi rappeler ses origines du Fouta, le conservatisme de son milieu familial, sa bataille pour mener ses études de droit et son attachement à sa ville natale de Podor, dont elle a été maire de 2009 à 2022.
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« Certains trouvent que, dès lors qu’elle a été nommée ministre des affaires étrangères, on ne l’a plus beaucoup vue, mais elle conserve une forte popularité, surtout chez les femmes », souligne un acteur associatif local. « A son époque, les femmes en politique étaient rares. Elle a été une source d’inspiration pour de nombreuses jeunes Sénégalaises », ajoute Abdoulaye Vilane.
Mais les déceptions à son endroit sont à la hauteur de sa popularité. Début 2024, en pleine crise politique, celle qui est alors garde des sceaux défend la loi d’amnistie, un texte polémique. Les critiques fusent. Mme Tall Sall est accusée de se compromettre avec une équipe dirigeante qui contrevient aux valeurs qu’elle porte comme avocate et comme militante.
« J’assume, assène-t-elle. Une loi d’amnistie, c’est toujours clivant. Il s’agissait de ramener la paix sociale dans le pays. » A ceux qui demandent aujourd’hui l’abrogation de la loi pour permettre l’ouverture d’une enquête sur la répression des manifestations qui ont fait plusieurs dizaines de morts, elle répond par la négative. De la direction de l’opposition, peut-elle se préparer à représenter son camp politique à la prochaine élection présidentielle, en 2029 ? Mme Tall Sall sourit, botte en touche mais ne nie pas : « J’ai appris à mener un combat après l’autre. »