Au Sénégal, la Petite-Côte devient la « banlieue chic et cool de Dakar »

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Des villages séparés par des lagunes et des mangroves, on peut observer le ballet des calaos et des pélicans. Des mythes et des pages d’histoire traversent la région de la Petite-Côte au Sénégal. A Toubab Dialao, El Hadj Oumar Tall, djihadiste et marabout, aurait fait jaillir une source d’eau. A Popenguine, l’apparition de Marie à des pêcheurs continue de souder une communauté catholique autour d’un pèlerinage annuel.

Mais la Petite-Côte, déjà animée par le tourisme, change vite. Des tas de briques et des sacs de ciment s’amoncellent le long des routes et des pistes sur lesquelles des charrettes se pressent, chargées de fers à béton. Même dans les villages comme Guéréo, les chantiers se multiplient à vue d’œil.

Depuis quelques années, les Dakarois, habitués à y passer des week-ends, sont nombreux à s’installer plus durablement quelque part entre le village de Yenne et la ville de Saly, à 80 kilomètres de la capitale. Depuis 2019, l’ouverture d’une autoroute permet de faire le trajet en un peu plus d’une heure.

La Petite-Côte s’étire au sud de la péninsule du Cap-Vert sur laquelle est installée Dakar. La ville nouvelle de Diamniadio, sortie de terre en 2015 sur volonté présidentielle, qui accueille déjà plusieurs ministères, reliée à Dakar par un train, est à quelques dizaines de kilomètres seulement. Tout comme l’aéroport international Blaise-Diagne. Le département de Mbour, qui englobe la Petite-Côte, est devenu le troisième le plus peuplé du Sénégal, passant en dix ans de 669 000 à 940 000 habitants environ.

« Un vrai boom »

Désengorger la capitale, dense, polluée et embouteillée, est une volonté de l’Etat depuis une décennie. « Nous assistons à une extension de la métropole dakaroise. La Petite-Côte devient une zone périurbaine », éclaire Papa Sakho, géographe à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. « Yenne devient une commune de banlieue où vivent des personnes qui travaillent à Dakar ou Diamniadio », explique un élu du village de pêcheurs. « L’arrivée de nouveaux habitants entraîne une hausse des recettes fiscales », souligne Demba Sarr, un employé de la mairie de Ngaparou, qui note aussi la croissance de nouveaux secteurs dans la région comme « le BTP, les services et le commerce ».

Saly, station balnéaire dont le développement remonte aux années 1970, se transforme. La ville pèse déjà pour un quart des capacités d’hébergement touristique du Sénégal avec ses 10 000 lits. Mais elle devient une capitale régionale selon un acteur historique du secteur hôtelier : « Depuis l’arrivée de l’autoroute, c’est un vrai boom. Plusieurs supermarchés ont ouvert, des salons de coiffure, des salles de sport… Saly n’est plus la petite station qui accueillait quelques retraités européens. C’est devenu la banlieue chic et cool de Dakar… »

Lire le reportage : Article réservé à nos abonnés Dakar, nouvelle cible des trafiquants de drogue en Afrique de l’Ouest

Cheikh Mbacké, consultant, s’est installé là il y a cinq ans. L’hôtellerie s’est réorientée vers le secteur événementiel, explique-t-il : « ONG, privé, public… Tout le monde organise ses séminaires à Saly. Dans mon secteur, on est autant ici que dans la capitale. Pourquoi y rester ? » Il note que l’éventail des activités ne cesse de s’élargir : « Saly devient aussi une ville de sport. Les lieux dédiés à la formation poussent autour de la fameuse Academy du Paris-Saint-Germain », un complexe sportif ouvert par le club de football parisien pour accompagner de jeunes joueurs.

Mais le « boom » de la Petite-Côte ne va pas sans remous, ni inquiétudes. Un élu local confie sous le couvert de l’anonymat et avec un certain humour son sentiment : « Ce qui se passe, ça fait sourire les maçons et pleurer les pêcheurs. Certains profitent du développement. Mais pour d’autres, cette situation signifie l’abandon de leur activité, de la pollution et de l’inflation… »

Une région qui se bétonne

« Le prix du foncier a bondi. Un terrain d’environ 200 m2 qui valait 2 millions de francs CFA il y a cinq ans peut partir aujourd’hui pour 8 », explique Cheikh Fall, de l’ONG de développement Enda Tiers-Monde. L’agriculture décline donc lentement. Khadija Toussi fabrique avec une coopérative de femmes des produits à partir de mil à la Somone. « Mais il n’est plus cultivé ici. Nous n’avons plus de terres arables, c’est trop cher », explique-t-elle. La spéculation a fait de la région une championne des conflits fonciers. Ces derniers prennent parfois des allures de fronde, comme en 2020, lorsque les habitants du calme village de Guéréo se sont opposés à un projet hôtelier.

Cette même année, le ministère de l’environnement pointait dans un rapport une « situation alarmante » sur la Petite-Côte. L’Etat a alors classé 4 000 hectares de la lagune de la Somone, localité prisée des touristes et des Dakarois, en aire marine protégée. Depuis, les activités d’ostréiculture reprennent. A quelques kilomètres de là, pour faire face au phénomène d’érosion côtière, des brise-lames ont été installés sur les plages de Saly.

Mais les inquiétudes persistent dans une région qui se bétonne. Défenseurs de l’environnement et pêcheurs du village de Ndayane se sont opposés à la réalisation d’un port en eaux profondes, un projet phare de l’ancien président Macky Sall. Las, le chantier a été lancé en 2023 et le 13 septembre, le premier ministre Ousmane Sonko a reçu le directeur général du constructeur dubaïote DP World pour discuter de l’avancée de l’ouvrage. Le port, ses terminaux et sa zone économique devraient s’étendre sur quelque 1 200 hectares. Les études d’impact du projet à plus d’un milliard de dollars restent inaccessibles et les récriminations lettres mortes, pour le moment.

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Certains plans pourraient-ils être revus ? Des agriculteurs locaux ont accueilli avec joie l’annonce, en mai, des autorités de suspendre, le temps de l’étudier, un projet appelé à « équilibrer la croissance de la ville de Dakar ». Les terres du village de Daga-Kholpa devaient, selon celui-ci, accueillir un nouveau pôle urbain de 8 500 logements pour la seule phase de démarrage.

Cheikh Fall, d’Enda Tiers-Monde, conclut : « Il y a un manque de planification. D’un côté on protège des aires marines, de l’autre on bâtit un port géant qui risque de les affecter. On annonce des mégaprojets, sans prévoir les effets sur les terres aux alentours. » Un appel à la rationalisation du développement de la région en somme.

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