Le 17 novembre, jour des élections législatives au Sénégal, Macky Sall a de nouveau brillé par son absence. Installé à Marrakech, au Maroc, depuis la passation de pouvoir avec son successeur Bassirou Diomaye Faye, le 2 avril, l’ancien président et tête de liste de la coalition Takku Wallu n’a pas fait le déplacement dans son fief de Fatick (centre-ouest), où il est inscrit, pour s’acquitter de son devoir citoyen. Quelques jours plus tôt, la presse sénégalaise avait par ailleurs noté l’impossibilité pour lui de voter au Maroc, faute de mise à jour des listes électorales depuis la présidentielle en mars.
Au lendemain du scrutin, c’est depuis sa villa au Maroc que l’ancien président a reconnu sa défaite avant la publication officielle des résultats. « Je voudrais, en mon nom personnel et en celui des leaders et membres de la coalition Takku Wallu Sénégal, féliciter la coalition Pastef pour sa victoire », a-t-il écrit sur le réseau social X. Une défaite inédite dans son parcours politique.
Selon les résultats officiels, publiés le 21 novembre, le parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) a remporté 130 sièges sur 165. Soit 78 % des voix et un nombre d’élus bien supérieur à la majorité qualifiée, fixée à 99 députés. Quant à la coalition Takku Wallu, portée par Macky Sall, elle n’obtient que 16 députés (contre 83 lors de la précédente législature).
A l’image de la présidentielle du 24 mars, le Pastef, conduit par le premier ministre Ousmane Sonko, rafle la quasi-totalité des grandes villes du pays, telles que Dakar, Mbacké, Touba, Ziguinchor, Saint-Louis ou encore Kaolack. Même dans les régions historiquement favorables à M. Sall, le Pastef a réussi à renverser la tendance. L’ancien président perd ainsi son département natal de Fatick, où il a bâti sa carrière politique en étant le maire de la ville du même nom (entre 2009 et 2012).
« Campagne par procuration via WhatsApp »
Comment expliquer une telle débâcle ? « C’est simple, ils ont mené une campagne électorale sérieuse, pas nous. Ils avaient de vraies propositions programmatiques là où nous, nous avons tout misé sur nos leaders », lâche un jeune militant de l’APR qui se dit « écœuré » par ses aînés. Sur 46 départements, Ousmane Sonko a fait le déplacement dans 42. « Là où il est passé, il a drainé les foules, je l’ai constaté à Kaolack, raconte le jeune homme, originaire du centre du pays. Il a sillonné le Sénégal avec des propositions ciblées pour chaque localité, avec une méthode qui consiste à expliquer son projet économique et social. »
Face à M. Sonko, Macky Sall, qui s’est longtemps distingué par sa propre capacité à labourer le pays lors de ses précédentes campagnes, a semblé invisible. Officiellement, l’ancien président n’a pas donné les raisons de son absence au Sénégal, mais de nombreux observateurs pointent sa crainte d’une possible arrestation. « S’il peut rentrer au pays, il n’a aucune garantie de sortie, alors que certains de ses anciens ministres se sont vus privés de sortie du territoire », souligne Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’Université Gaston-Berger (UGB) de Saint-Louis.
De fait, les menaces du nouveau régime à l’égard des figures de l’ancien concernant des faits de corruption présumés sont à peine voilées. Résultat : l’ancien président n’a pas battu campagne au Sénégal mais depuis sa résidence de Marrakech, à coups de directives sur les réseaux sociaux et de discours sur le haut-parleur du téléphone de ses proches en meeting. « Beaucoup l’ont moqué de battre campagne par procuration via WhatsApp », note Babacar Ndiaye, analyste politique chez Wathi, un laboratoire d’idées citoyen basé à Dakar.
« Le retour précipité de Macky Sall dans le jeu politique national, alors qu’il avait des prétentions internationales, pose question », ajoute-t-il, rappelant son renoncement au poste d’envoyé spécial du Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P), début octobre, pour pouvoir être tête de liste aux législatives. Autre incompréhension des Sénégalais, selon le chercheur, l’alliance entre l’APR (Alliance pour le République) de Macky Sall et le Parti démocratique sénégalais (PDS) de son ancien rival, l’ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012), qui avait appelé à voter Pastef lors de la présidentielle de mars.
« Leur marge de manœuvre sera limitée »
La coalition Takku Wallu de Macky Sall a aussi dû faire face à de nombreuses défections. « Depuis le départ de son dauphin à la présidentielle et ancien premier ministre, Amadou Ba, son parti et sa coalition se sont émiettés », pointe Alassane Ndao, enseignant-chercheur à l’UGB. Beaucoup de responsables nationaux et locaux ont rejoint le mouvement d’Amadou Ba, voire même le Pastef. Adji Mergane Kanoute fait partie de ces « transhumants ». Investie à la 24e place sur la liste nationale de Takku Wallu, elle a finalement rejoint les rangs du Pastef à une semaine du vote. « Si le peuple est du côté d’Ousmane Sonko, et il l’a prouvé, alors nous avons tout intérêt à nous allier avec son parti, car nous sommes là pour représenter l’intérêt général », justifie-t-elle.
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Avec 16 députés, la coalition de Macky Sall s’impose néanmoins comme la principale force d’opposition, devant celle d’Amadou Ba, qui obtient 5 sièges, et celle de Barthélémy Dias, le maire de Dakar, qui en remporte 3. « Leur marge de manœuvre sera limitée, indique Alassane Ndao. L’APR et le PDS ne dépendent que de leur leader. Aucune figure n’a émergé pour être la locomotive de l’opposition ».
Les nouvelles autorités, avec une très large majorité qualifiée, devraient désormais pour leur part pouvoir dérouler leur programme, dont une partie repose sur des réformes constitutionnelles et sur le plan Sénégal 2050, qui vise à accélérer le développement du pays grâce à l’industrialisation et la décentralisation.
Beaucoup d’interrogations planent encore sur la 15e législature sénégalaise. Macky Sall, va-t-il tenir son poste de futur chef de l’opposition ? « Beaucoup de gens pensent qu’il va démissionner de son mandat car il est risqué pour lui de revenir au Sénégal », rapporte Moussa Diaw, de l’UGB. L’ancien président pourrait ainsi être visé par des enquêtes judiciaires pour des faits de corruption présumés si une haute cour de justice venait à être mise en place, comme l’a promis M. Sonko. S’il bénéficie d’une immunité parlementaire, elle peut toutefois être levée par un vote avec une majorité qualifiée, ce dont bénéficie désormais la majorité présidentielle. En 2021, Ousmane Sonko avait lui-même perdu son immunité après un vote du camp de Macky Sall, alors majoritaire à l’Assemblée nationale. Entre les deux rivaux, le rapport de force est maintenant inversé.