Au Sénégal, les ténors du barreau sont au cœur de la République depuis l’indépendance du pays

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« Je suis une star », s’amuse MEl Hadji Diouf, presque caché par les dossiers qui s’empilent sur son bureau. Difficile de lui donner tort. Souvent, à la sortie d’une plaidoirie, l’avocat, ténor du barreau de Dakar, est assailli par les micros des journalistes qui connaissent son sens de l’emphase. Avec lui, les journées aux tribunaux sont, dit-il, des « moments extraordinaires de manifestation de la vérité » et les décisions judiciaires ne sont pas juste cassées mais « anéanties ».

Ce 11 décembre, l’avocat sort du tribunal judiciaire et financier. Il défend Lat Diop, un ancien ministre accusé de détournement et de blanchiment d’argent. « On me choisit parce que je suis un bulldozer », assène-t-il. L’affaire fait la « une » des journaux. Mais cette exposition médiatique n’est rien comparée à celle dont il a bénéficié en 2023. Il plaidait alors en faveur d’Adji Sarr, une jeune femme qui accusait de viol l’actuel premier ministre Ousmane Sonko, à l’époque leader de l’opposition à l’ancien président Macky Sall.

Lire : Article réservé à nos abonnés Le procès d’Hissène Habré renforce la justice en Afrique

Dans cette affaire, MDiouf fait face à Ciré Clédor Ly. « Au demeurant mon meilleur ami au barreau », souligne-t-il à propos de ce dernier, l’un des avocats les plus célèbres et respectés du Sénégal, connu pour avoir défendu Khalifa Sall et Karim Wade, deux figures de la vie politique locale. MClédor Ly est alors à la tête du pool d’avocats de M. Sonko.

Les deux sexagénaires, passés par la faculté de droit de l’université Cheikh-Anta-Diop, ont aussi fait cause commune. Ensemble, ils ont défendu l’ancien dirigeant tchadien Hissène Habré, reconnu en 2016 coupable de crimes contre l’humanité par les Chambres africaines extraordinaires, une juridiction spéciale créée par le Sénégal et l’Union africaine siégeant à Dakar.

Environ quatre cents avocats

Il n’est pas rare de les voir aussi plaider dans des tribunaux de la sous-région ou à la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), à Abuja. MDiouf a défendu Yahya Jammeh, l’ancien dictateur gambien et MClédor Ly Simone Gbagbo, ex-épouse de Laurent Gbagbo et ancienne première dame de Côte d’Ivoire.

Comme eux, d’autres avocats sénégalais plaident devant des cours d’autres pays africains, à l’instar de l’ancienne ministre Aïssata Tall Sall, qui a conseillé l’ancien président mauritanien Khouna Ould Haidalla. « La démocratie sénégalaise permet aux avocats d’adopter un ton libre et de revenir dans leur pays sans crainte. C’est un atout recherché dans la région », explique Amadou Sall, ancien ministre et plusieurs fois l’avocat de l’Etat sénégalais.

Au Sénégal, les avocats ne sont pas nombreux. Environ quatre cents, pour la majorité des hommes. Les grands noms sont pour les jeunes avocats des modèles, parfois des tuteurs. Le charismatique et populaire Bamba Cissé, figure montante du barreau de Dakar, lui aussi membre du pool des avocats de M. Sonko, a fait ses armes dans le cabinet de Clédor Ly.

L’actuel gouvernement, qui ne compte pas d’avocat, fait figure d’exception. Plusieurs robes noires – Aïssata Tall Sall, Sidiki Kaba, Omar Youm… – ont été ministres sous la présidence de Macky Sall (2012-2024). Son prédécesseur, Abdoulaye Wade, a longtemps été connu de ses compatriotes comme « Maître Wade » avant d’effectuer deux mandats à la tête du pays (2000-2012). En 1963, il avait plaidé en faveur de Mamadou Dia, premier président du Conseil accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat contre Léopold Sedar Senghor. Il avait été condamné au bagne à perpétuité. M. Wade n’avait pas pu sauver son client, mais l’affaire lui avait forgé un nom et une réputation.

Ne pas céder « à une justice expéditive »

« Plusieurs des premiers hauts fonctionnaires et dirigeants du pays portaient la robe », explique Céline Sow, journaliste et réalisatrice d’un documentaire sorti en 2019 sur l’histoire du barreau de Dakar. Parmi les premiers grands noms de la corporation : Valdiodio Ndiaye, premier ministre de l’intérieur du Sénégal et fidèle de M. Dia, envoyé lui aussi au bagne sous M. Senghor. « M. Ndiaye est un des premiers sénégalais à faire tourner un cabinet avec succès à une époque où la profession est encore occupée par de nombreux Français. Chez les avocats, c’est tout un symbole », retrace Mme Sow.

Depuis l’indépendance, les avocats sont restés au cœur de la République. « Au Sénégal, le pouvoir utilise souvent la justice pour frapper ses opposants. Les procédures baillons ont été courantes sous plusieurs présidents. De ce fait, les avocats font figure de défenseurs de la démocratie », ajoute MMoussa Sarr, qui a défendu l’actuel président Bassirou Diomaye Faye quand ce dernier était dans l’opposition.

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Les figures du barreau ne manquent pas de s’exprimer sur l’état des institutions et le respect des libertés. MClédor Ly a ainsi pris position en octobre, quelques mois après l’accession de son client M. Sonko à la primature, pour appeler à ne pas céder « à une justice expéditive », alors que les nouvelles autorités promettaient une sévère reddition des comptes pour leurs prédécesseurs.

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