Au Sénégal, les « vacances agricoles » des jeunes du Pastef

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Issa Ndiaye, Moussa Dia et Fatou Aidara sont respectivement enseignant, vendeur de pièces automobiles et entrepreneuse dans le commerce. Mais ce dimanche à 8 heures, ils manient la houe à Ndiassane, un village de la région de Thiès, avec une dizaine d’autres jeunes âgés de 20 à 30 ans. Avec leurs casquettes à l’effigie du président Bassirou Diomaye Faye ou siglées du « P » du parti au pouvoir, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), leurs sympathies politiques se laissent vite deviner. Tous participent aux « vacances patriotiques » voulues par la Jeunesse patriotique du Sénégal (JPS), l’organisation de jeunesse du Pastef.

Avec le début de l’hivernage, période pluvieuse qui court de juin à octobre, le groupe a décidé de mélanger les cultures sur un champ de deux hectares prêté par l’oncle d’un jeune militant. Ils sèment de l’arachide, du gombo, de l’hibiscus et du niébé (une légumineuse proche du haricot) alors que les pluies se font plus régulières et plus fortes. La JPS a lancé ce
programme début juillet. Dans les régions de Dakar, Mbour et Kaolack, 28 champs ont été prêtés par des particuliers. Sur chaque terrain, entre dix et trente militants s’activent, le plus souvent le week-end.

C’est une tradition pour les jeunes Sénégalais, notamment les étudiants, de rentrer dans leur région d’origine durant les vacances universitaires pour aider leurs familles aux tâches paysannes. « Mais cette coutume se perd », regrette Issa Ndiaye, qui passe une partie de ses congés à désherber, bêcher et semer, gants de travail aux mains. « De plus en plus de jeunes délaissent le travail agricole. Le savoir-faire qui était transmis à tous, même à ceux partis étudier à Dakar, s’oublie. L’activité de paysan n’attire plus, elle passe pour désuète », explique-t-il. C’est cette déperdition que la JPS entend combattre.

« Exemplarité »

Un retardataire arrive tout sourire. Coiffé du bonnet « cabral » – qui doit son nom à Amilcar Cabral, héros de l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert –, il suspend une enceinte à la branche d’un manguier. Après Youssou Ndour, c’est au son de Diomaye Mooy Sonko (« Diomaye c’est Sonko ») que les militants et sympathisants de la JPS œuvrent. Sortie pendant la campagne électorale, cette chanson de Dieyna Baldé est à la gloire du duo formé par le nouveau président, Bassirou Diomaye Faye, et son premier ministre, Ousmane Sonko.

Entre deux coups de houe, les militants discutent politique et se ressourcent à l’ombre d’un grand arbre qui accueille aussi les outils d’un cheval de trait. L’ambiance est bon enfant mais le discours est des plus rigoureux. Les « jeunes patriotes » prétendent à « l’exemplarité », selon leur propre terme. Esprit de sacrifice, effort, sens civique… Le Pastef affirme défendre des valeurs qui feraient défaut au reste de l’élite politique.

Moussa Dia précise : « “Baye ndundé” [produire ce qu’on mange, en wolof], c’est le slogan de nos vacances patriotiques. » La formule répond à l’ambition des nouveaux dirigeants sénégalais : l’autosuffisance alimentaire. Création d’un observatoire du monde rural, lancement de coopératives, allocation de 10 % du budget national au ministère de l’agriculture… sont autant de promesses électorales de Bassirou Diomaye Faye.

Pour le chef de l’Etat, les 9 % de PIB que représente le secteur agricole demeurent trop peu au vu des possibilités. Les « jeunes patriotes » le soulignent avec enthousiasme : « Il vient lui-même d’une famille d’agriculteurs et il aidait aux champs quand il était jeune. » En 2020, alors opposant, Bassirou Diomaye Faye avait participé à une tentative de première édition de ces week-ends à la ferme, bien moins ambitieuse que celle de cette année.

« Umuganda »

Le programme a des airs de scoutisme ou des relents de régime socialiste. Il rappelle aussi des précédents sénégalais ou étrangers. Un militant évoque « l’umuganda » au Rwanda, une journée de travail communautaire mensuelle promue par le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, figure populaire dans les rangs du Pastef. Issa Ndiaye cite l’héritage de Mamadou Dia, dirigeant du premier gouvernement du Sénégal indépendant, compagnon puis rival de Léopold Sédar Senghor. Personnage apprécié au sein du Pastef, Mamadou Dia a été au début des années 1960 le promoteur d’une politique rurale d’inspiration socialiste, entre autogestion et agriculture vivrière.

Les ministères de l’agriculture et de la jeunesse ont aussi lancé, le 21 juillet, un programme de « vacances agricoles » qui ressemble beaucoup à l’initiative de la JPS. Une première, destinée « à sensibiliser la jeunesse aux pratiques agricoles […] et à promouvoir l’autosuffisance alimentaire », selon les messages publiés par Khady Diène Gaye, ministre de la jeunesse, sur le réseau social X. Les jeunes Sénégalais peuvent s’inscrire en ligne pour intégrer une des 31 fermes prêtes à les accueillir durant les mois d’août et septembre.

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En mai, Ousmane Sonko annonçait une augmentation du budget alloué à la campagne agricole pour l’année à venir. Surtout, le premier ministre précisait sa vision, qui marie économie rurale et politique pour la jeunesse. « L’agriculture devra jouer un rôle prépondérant dans la création d’emplois pour les jeunes, la lutte contre l’émigration clandestine et la lutte contre la pauvreté », déclarait le leader du Pastef. Trois mois plus tard, des centaines de ses jeunes partisans répondent présents.

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