Au Sénégal, l’opposition accuse Ousmane Sonko de vouloir échapper à une motion de censure

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Au Sénégal, l’opposition parlementaire, acquise à l’ancien président Macky Sall et aphone depuis l’élection du nouveau président Bassirou Diomaye Faye il y a trois mois, a retrouvé de la voix. Samedi 29 juin, l’Assemblée nationale a annulé, au dernier moment, une séance prévue le jour même avec le ministre des finances et du budget, Cheikh Diba, concernant la programmation budgétaire 2025-2027.

Cet acte de défiance est dirigé contre le premier ministre Ousmane Sonko qui a refusé, la veille, de prononcer son discours de politique générale au sein de l’Hémicycle, arguant d’un vice juridique.

Pour ses détracteurs, le chef du gouvernement craint surtout de ne pas obtenir la confiance des députés alors que son camp, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), fait partie de la coalition Yewwi Askan Wi qui est en minorité à l’Assemblée avec 42 sièges sur 65. Lors des dernières législatives, en 2022, c’est en effet la coalition de l’ex-président Macky Sall, Benno Bokk Yaakaar (BBY), qui avait obtenu une majorité relative de 83 sièges.

Suite à leur accession au pouvoir, les anciens opposants ont bien prévu de convoquer des législatives anticipées afin de tenter d’avoir une majorité, mais ils sont obligés d’attendre que deux années se soient écoulées après le dernier scrutin, soit septembre 2024.

Flou législatif

Néanmoins, selon l’article 55 de la Constitution, le premier ministre est censé faire une déclaration de politique générale dans les trois mois suivant son entrée en fonction. Elle doit permettre au chef du gouvernement de présenter son programme et les moyens qu’il souhaite mobiliser pour le mener à bien lors d’une séance plénière. A cette occasion, les députés peuvent déposer une motion de censure contre le gouvernement.

Or, « depuis que Macky Sall a supprimé le poste de premier ministre en 2019, la loi organique de l’Assemblée ne présente plus aucune disposition relative au premier ministre, elle ne le reconnaît plus », signale Alassane Ndao, maître de conférences à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. Lors du rétablissement de la fonction de chef du gouvernement en 2021, les textes parlementaires n’ont pas été modifiés. A l’époque, les députés de Pastef, alors dans l’opposition, avaient pourtant multiplié les demandes en ce sens, mais n’avaient pas été entendus. S’appuyant sur ce flou législatif, Ousmane Sonko a indiqué, dans une correspondance datée du 28 juin avec un député de son parti rendue publique, qu’il ne se soumettrait pas à l’exercice tant que le règlement intérieur de l’Assemblée nationale ne serait pas modifié.

« C’est un faux débat », tranche Adji Mergane Kanouté, vice-présidente du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, accusant Ousmane Sonko de craindre une motion de censure. « Il y a des manquements vis-à-vis de ce texte, mais la déclaration de politique générale est un passage obligé, une coutume, justifie-t-elle. Nous travaillons sur une proposition de loi supprimant le pouvoir du président de dissoudre l’Assemblée nationale, au nom du principe de la séparation des pouvoirs. »

Ousmane Sonko redoute-t-il de faire sa déclaration de politique générale devant une majorité hostile ? « Le premier ministre est impatient de nous faire face », jure le député Ismaïla Diallo, député du groupe parlementaire Yewwi Askan Wi et membre de Pastef. « Nous attendons simplement une modification du règlement pour être en conformité », ajoute-t-il, alors qu’une proposition de loi a été déposée en ce sens lundi par un député affilé au groupe du Parti démocratique sénégalais (PDS).

Selon plusieurs spécialistes des institutions sénégalaises contactés par Le Monde, le refus de Sonko de s’exprimer n’a rien de surprenant. « Cela s’inscrit dans la posture de rupture des nouvelles autorités, qui prônent le respect de l’Etat de droit », observe Maurice Soudieck Dione, enseignant chercheur en sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. « On ne peut pas lui reprocher de vouloir un respect strict de la légalité, pour un exercice effectif et concret de la déclaration de politique générale », ajoute le chercheur, précisant qu’une motion de censure votée contre lui, dans le cas où le texte ne serait pas actualisé, ne pourrait être prise en compte.

« Stigmates de mauvaise gestion »

A l’inverse, « avec Macky Sall, nous avons assisté à une espèce d’“informalisation” des institutions, avec des situations hors norme dans lesquelles la loi et la Constitution ont parfois été piétinées », estime Alioune Tine, fondateur du cercle de réflexion AfrikaJom Center. « Le cas du règlement de l’Assemblée nationale fait partie des stigmates de la mauvaise gestion des institutions sous le régime de Macky Sall », renchérit Ismaila Diallo, député du groupe parlementaire Yewwi Askan Wi et membre de Pastef. Il n’empêche, beaucoup s’accordent à dire qu’il s’agit d’une « crise inutile ». « La politique politicienne a pris le dessus sur le sens de la responsabilité », déplore Alassane Ndao, expliquant que « le problème pourrait être réglé en deux jours ».

Ousmane Sonko avait annoncé vendredi qu’il n’hésitera pas à présenter son programme devant un auditoire composé « du peuple souverain, de partenaires du Sénégal et d’un jury composé d’universitaires, d’intellectuels et d’acteurs citoyens politiques apolitiques » si, d’ici au 15 juillet, l’Assemblée nationale composée d’hommes et de femmes politiques n’apportait pas les modifications qu’il demande.

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« C’est de la provocation pour être dans un rapport de confrontation, c’est conforme à sa personnalité », indique Alassane Ndao. Néanmoins, ces derniers jours, certaines critiques ont émergé face à l’omniprésence du premier ministre dans différentes polémiques. « Quand on est un homme d’Etat, il faut veiller à rester conforme à la Constitution, estime Alioune Tine d’AfrikaJom Center. On dirait qu’il n’a pas encore pris conscience qu’il est au pouvoir et que c’est lui qui agit », conclut-il.

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