Au Sénégal, une loi pour protéger les lanceurs d’alerte est en préparation

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Le 28 juin 2023, Oudy Diallo a croisé un gendarme attablé avec deux ressortissants chinois dans un restaurant de Kédougou, région aurifère à 700 kilomètres au sud-est de Dakar, la capitale sénégalaise. Il a entendu l’homme en tenue négocier pour eux un contrat minier avec des autorités locales.

Discrètement, le président de l’association Alerte Kédougou Environnement a pris une photo, qu’il a publiée sur les réseaux sociaux. Quelques jours plus tard, il a été arrêté chez lui, devant sa mère et ses enfants, avant d’être condamné à six mois de prison ferme pour « diffusion de fausses nouvelles » et « diffusion de données à caractère personnel. »

Comme une dizaine d’autres personnes dans le pays, le défenseur de l’environnement a fait les frais de l’absence de loi qui protège les lanceurs d’alerte, ces personnes qui révèlent des informations concernant des actes illégaux, illicites ou contraires à l’intérêt général dont elles ont été témoin. Des acteurs pourtant essentiels pour lutter contre la corruption et les détournements de deniers publics, mais dont les révélations ont souvent été sanctionnées, ces dernières années, au nom de la lutte contre les fausses nouvelles ou la violation du secret professionnel.

Finaliser le texte avant le 15 mai

Ousmane Sonko, l’actuel premier ministre et leader du parti au pouvoir, Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), en a fait aussi l’expérience. En 2016, celui qui était inspecteur aux impôts et domaines avait été radié de la fonction publique par l’ancien président Macky Sall pour « manquement à l’obligation de discrétion professionnelle » après avoir accusé plusieurs personnalités sénégalaises d’avoir illégalement bénéficié d’avantages fiscaux.

Soucieux d’incarner une rupture avec son prédécesseur, le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a promis, au lendemain de son élection le 24 mars, de porter un projet de loi pour la protection des lanceurs d’alerte. Le chef d’Etat, qui dit vouloir œuvrer pour plus de transparence et de bonne gouvernance, a demandé au ministre de la justice Ousmane Diagne de finaliser le texte avant le 15 mai. Son contenu n’a toujours pas été divulgué.

« Il faudrait définir les mécanismes et l’autorité pour pouvoir recueillir les signalements, enquêter et potentiellement aller en justice. Il y a aussi la question de l’anonymat des lanceurs d’alerte, des mesures concrètes pour les protéger et les accompagner, en assurant leur immunité contre des poursuites pénales ou civiles », liste de façon non exhaustive Jimmy Kandé, directeur Afrique de l’Ouest et francophone de la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (Pplaaf).

« Mais lanceur d’alerte ne veut pas dire délateur, il faut protéger la dignité des personnes et éviter les dérives », précise l’avocat Amadou Diallo d’Amnesty International, qui milite pour une loi plus globale sur la protection des défenseurs des droits humains. Des propositions qui n’ont pas fait l’objet de retour officiel pour le moment.

Des situations de vulnérabilité

En adoptant une telle loi, le Sénégal serait le premier pays d’Afrique francophone à légiférer sur la protection des lanceurs d’alerte. « L’annonce de Bassirou Diomaye Faye est un message fort et pourrait provoquer un effet multiplicateur », espère M. Kandé. Trois autres pays, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Nigeria, sont en train de travailler à une législation, mais ces initiatives n’ont pas encore abouti et n’émanent pas directement du chef de l’Etat.

En Afrique anglophone, seuls onze pays protègent légalement les lanceurs d’alerte. « Cela a créé un environnement où les journalistes peuvent parler, mais l’application des lois n’est pas vraiment effective. Des lanceurs d’alerte ont été assassinés au Ghana », déplore M. Kandé. Ailleurs, l’absence de législation met les lanceurs d’alerte dans des situations de vulnérabilité, beaucoup sont victimes de représailles juridiques ou professionnelles.

D’autres lanceurs d’alerte ont connu des sorts plus tragiques, comme le Malien Amadou Traoré qui a dénoncé un trafic illégal de bois de rose à la frontière avec le Sénégal, opéré par son employeur chinois dont il était l’interprète. « J’ai d’abord averti les autorités concernées, sans réponse. Alors j’ai contacté France 24 qui a mené l’enquête en 2020 », explique-t-il. Rapidement, ses employeurs comprennent que c’est lui qui a partagé les informations. Menacé à plusieurs reprises, il a dû s’exiler et déménager dans différents pays. « Une législation au Sénégal aurait pu me protéger moi, ma femme et mes enfants », regrette le lanceur d’alerte qui vit anonymement, éloigné de sa famille, elle aussi exilée.

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