au Tchad, des inondations sous contrôle politique

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D’un coup de sifflet, l’alerte est donnée. Une adolescente vient de détecter une fuite dans la digue en terre qui protège le quartier populaire de Walia, dans le sud de N’Djamena, capitale du Tchad. Une demi-douzaine de jeunes armés de pelles et de pioches accourent aussitôt pour remplir des sacs de sable et colmater la brèche.

« Des comités de vigilance se sont formés dans tous les quartiers », explique Ezéchiel Minnamou Djobsou, coordinateur adjoint de l’association Jeunesse active du 9arrondissement. « Certains ne vont plus au travail tant le risque est imminent », ajoute le trentenaire en chasuble fluorescente, tout en observant d’un œil inquiet le niveau du fleuve qui n’est plus qu’à quelques centimètres du sommet de la digue.

Alors que les inondations provoquées par des pluies diluviennes ont déjà causé la mort de près de 600 personnes et affecté près de 2 millions de Tchadiens (plus de 10 % de la population), la capitale vit désormais sous la menace des crues fluviales. Le gouvernement refuse toutefois de déclarer l’état de catastrophe naturelle jusque-là.

A N’Djamena, les relevés quotidiens du niveau des crues s’échangent sous le manteau et les hydrologues et autres experts déclinent systématiquement les demandes d’interview. « Des instructions ont été données pour mettre un embargo sur l’information car le sujet est devenu trop sensible, trop politique », juge un fonctionnaire international.

Dans les quartiers sud de N’Djamena

« Tout est fait pour éviter de déclarer l’état d’urgence », confirme un proche de l’exécutif. Selon certains observateurs, les autorités redoutent que le drame entraîne le report des élections législatives et locales, annoncées au 29 décembre. Ces scrutins doivent en effet parachever le processus de transition entamé au lendemain de la mort du président Idriss Déby, tué lors d’affrontements avec des rebelles en avril 2021. Et son fils et successeur, Mahamat Idriss Déby, n’espère rien d’autre qu’une confortable majorité au sein de la future Assemblée nationale.

L’opposant Succès Masra milite, lui, pour leur report. « Si nous étions en charge de l’exécutif, on aurait déjà déclaré un état de catastrophe et d’urgence nationale », précisait-il au terme de la convention de son parti Les Transformateurs le 5 octobre. L’ancien premier ministre espère profiter d’un délai pour obtenir une révision des règles du jeu électoral après sa défaite au second tour de la présidentielle du 6 mai, selon les résultats officiels qu’il conteste toujours.

Une partie de son électorat réside justement dans les quartiers sud de N’Djamena, les plus déshérités et les plus exposés aux inondations car urbanisés de façon anarchique au cours des dernières décennies. Les nouveaux arrivants, repoussés en périphérie par les difficultés d’accès au foncier dans la capitale, n’ont eu d’autre choix que de s’installer dans les zones inondables, sur les berges du fleuve Chari pour y puiser de l’eau.

Les habitants de Walia gardent un souvenir douloureux des dernières crues. En 2022, la majorité d’entre eux avaient dû fuir pour se réfugier dans des camps de sinistrés. Un peu plus tôt la même année, nombre d’entre eux avaient subi la répression sanglante des manifestations réclamant le départ des militaires au pouvoir. Lancées notamment à l’appel de Succès Masra, celles-ci firent entre 73 et 300 morts, selon les estimations.

« La digue tiendra bon »

Dans le 9arrondissement de la ville, la colère surgit de la précarité : « On vit dans l’eau comme des hippopotames et non des humains ! L’Etat nous a abandonnés parce qu’il ne nous considère pas comme des Tchadiens », lance un habitant du quartier, avant de s’éloigner.

A la suite des inondations de 2022, les autorités de N’Djamena ont lancé la construction d’une nouvelle digue qui, jusqu’ici, semble tenir ses promesses en contenant les eaux du fleuve et en protégeant une bonne partie des quartiers qui furent submergés.

Les habitants des localités englouties en amont ont trouvé refuge de l’autre côté de la digue que Silas Dionkouné, un sinistré, contemple avec un sentiment mêlé de soulagement et d’inquiétude. « On est au sec mais on a encore du mal à dormir parce qu’on a peur que la digue cède et que l’eau nous emporte dans notre sommeil », confie-t-il.

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« La digue tiendra bon », martèlent les autorités. Mais l’inquiétude demeure tant la pression exercée sur les 30 kilomètres de l’ouvrage à la confluence des fleuves Chari et Logone est monumentale. Autre facteur d’incertitude : la digue n’est achevée qu’à 80 % et les travaux ont connu plusieurs mois d’arrêt car seuls 40 % des 22 milliards de francs CFA (33 millions et demi d’euros) ont été versés par le ministère des finances à l’entreprise chinoise chargée de sa réalisation, selon une source gouvernementale.

Des prévisions loin d’être optimistes

L’ampleur des montants alimente les soupçons de détournement, étayés d’aucune preuve jusqu’ici, tandis que certains cadres du pouvoir accusent, sans plus apporter de preuves, l’opposition d’organiser des actions de sabotage de la digue. Une source proche du dossier attribue plutôt les brèches à des habitants cherchant à évacuer les eaux usées qui s’accumulent inexorablement dans certains quartiers, faute d’infrastructures de drainage.

Si le gouvernement se refuse à annoncer officiellement la mobilisation de l’armée, le génie militaire n’en est pas moins à pied d’œuvre ces dernières semaines pour déployer des motopompes dans les quartiers centraux, bâtir de nouveaux camps de sinistrés et tenter d’endiguer l’érosion des berges aux sorties est et ouest de la ville.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Au Tchad, Mahamat Déby Itno, un général en quête de légitimité

« Notre situation concerne tout le monde car le 9e [arrondissement] constitue le dernier rempart de N’Djamena, plaide Ezéchiel dans une vidéo diffusée en direct sur les réseaux sociaux. Nous lançons l’alerte pour sauver notre quartier et notre ville ! »

Les prévisions des climatologues sont loin d’être optimistes. Ces prochaines années, le réchauffement des océans devrait provoquer une intensification des pluies au Sahel central, une saison humide plus longue, une accélération du cycle hydrologique et donc des crues plus intenses et plus rapprochées comme semblent le confirmer les épisodes de 2022 et de 2024. N’Djamena se retrouverait alors prise en étau entre les inondations pluviales qui n’auraient pas le temps de s’évacuer et les crues fluviales qui semblent condamner à terme le quartier d’Ezéchiel, voire, si rien n’est fait, l’ensemble de la ville.

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