Avec « Dahomey », la cinéaste Mati Diop se lance sur la trace des fantômes de l’Afrique

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L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

De 1892 à 1894, le commandant en chef Alfred Amédée Dodds (1842-1922) mène la seconde expédition du Dahomey, au terme de laquelle ce puissant royaume, dirigé par le roi Béhanzin, tombe aux mains de la France. Au passage, lors du pillage du palais d’Abomey, Dodds rafle vingt-six objets royaux, expédiés au Musée d’ethnographie du Trocadéro, puis réinstallés en 2000 au Musée du quai Branly. Le 10 novembre 2021, la France restitue solennellement ces trésors à la République du Bénin, ex-Dahomey, où ils sont temporairement exposés au palais présidentiel de Cotonou. Geste ô combien symbolique, quand les experts estiment que 90 % du patrimoine culturel et artistique africain, chiffre vertigineux, sont conservés hors d’Afrique.

De ce moment, la cinéaste Mati Diop a souhaité conserver la trace, elle qui expliquait au Monde, le 13 mars, peu après que son film eut reçu l’Ours d’or de la Berlinale, le 24 février : « L’annonce de la restitution des œuvres d’art à l’Afrique, c’était comme une espèce de gifle. La gifle, c’était me rendre compte que la question du patrimoine africain, accaparé par les musées européens, était restée, chez moi, un impensé. »

Cette Franco-Sénégalaise, fille du musicien Wasis Diop, nièce du cinéaste Djibril Diop Mambéty (1945-1998), fait partie de cette nouvelle génération d’artistes afrodescendants qu’on voit se lever en France. A son crédit, notamment, deux films magnifiques : le moyen-métrage Mille Soleils (2013), hommage habité et sensible à son oncle, colosse poétique et politique du cinéma africain, auteur notamment de Touki Bouki (1973) ; puis son premier long-métrage, Atlantique (2019), qui reconduit à nouveaux frais les enjeux du film fondateur de son oncle, œuvre devenue l’icône du malaise et de la vitalité de la jeunesse africaine.

La jeune femme signe aujourd’hui avec Dahomey son film à tous égards le plus étrange. Court, intense, senti, impur. Inqualifiable aussi : documentaire sans pédagogie, essai sans signature, reconstitution sans fiction. Disons un film de fantômes. Rappel des esprits, souffrance en quête de rédemption. Un dibbouk (démon dans la mythologie juive) en terre noire, sorti des horizons enfouis de la traite négrière.

Esprit qui l’anime

Tout commence, si l’on veut, comme dans La Ville Louvre (1990), inoubliable film de Nicolas Philibert : à travers l’observation sans commentaire d’une minutieuse manutention – ballet de spécialistes et de petites mains, ambiance feutrée, déplacement, empaquetage, protection de la relique –, la rencontre du musée et du vivant, du sacré et du trivial.

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