Le voilà qui apparaît sur l’écran en faisant un bonjour de la main à l’américaine, cheveux ras, lunettes à fines montures, vêtu d’une veste polaire comme s’il revenait d’une balade en forêt. Derrière lui, une bibliothèque comprenant quelques livres reliés, un chapeau de paille accroché sur l’un des montants. Carlos Tavares, 64 ans, patron de Stellantis, fleuron de l’industrie française et l’un des plus puissants groupes automobiles du monde (Peugeot, Opel, Fiat, Chrysler…) , est chez lui au Portugal dans sa « ferme » située à 45 minutes de l’aéroport de Lisbonne. « Il vous faudrait les coordonnées GPS pour venir me voir », s’amuse-t-il. Il y passe une semaine par mois en télétravail, à enchaîner les réunions sur son iPad. Le reste de son temps, il le consacre à l’Amérique du Nord, à Detroit (Michigan), à l’Europe. La dernière semaine, il arpente le reste du monde.
Il ne s’excuse pas moins de deux fois pour son retard, comme si nous allions nous offusquer de la minute trente qu’il a mis à se connecter avec nous. Cette première scène résume à elle seule bien des traits de caractère d’un des plus doués, des plus discrets et des mieux payés (19 millions d’euros effectivement payés en 2022 et même 66,7 millions en prenant en compte la rémunération de long terme) des patrons européens : organisation au cordeau, rigueur et ascétisme, raideur et simplicité.
Il a fallu négocier longtemps avant qu’il n’accepte de parler de lui. Carlos Tavares préfère généralement discuter chiffres, stratégie ou voitures. Pour les deux ans de la création de Stellantis, né de la fusion de PSA-Opel et Fiat-Chrysler, à quelques jours de l’annonce d’excellents résultats, il a consenti à faire une exception. Il faut dire que tout lui réussit. « Il a fait d’une entreprise à perte un groupe ultra-performant et rentable, c’est un grand industriel », résume le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Lorsqu’il accepte de prendre les rênes de Peugeot, en 2014, le groupe français est au bord de la faillite : il ne doit sa survie qu’à un sauvetage de l’Etat et à l’entrée au capital du chinois Dongfeng. « Tavares était l’homme qu’il fallait à ce moment-là », se souvient l’ancien ministre de l’économie Pierre Moscovici.
Ce dirigeant à la discipline de fer, qui contrôle strictement son alimentation et son sommeil et que personne n’a jamais vu dans une soirée mondaine ni dans une salle de spectacle, ce « samouraï, obsédé par le travail, exigeant, froid, rapide et d’une efficacité redoutable », ainsi que le décrit Pierre Moscovici, a consacré toute sa vie à l’automobile, sa passion au point qu’il passe plus d’un week-end par mois à piloter des monoplaces ou des voitures anciennes dans des compétitions officielles, où sa femme, directrice de sa petite écurie de course, l’accompagne, thermos à portée de main. « C’est un vrai pilote de circuit, qui sait faire la différence entre un boulon en titane et un boulon en aluminium, confirme Bruno Le Maire. Il peut refuser un rendez-vous avec un chef d’Etat parce qu’il a une course prévue ce jour-là. »
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